Antoine Nouis «Chaque verset ouvre à de multiples lectures»
«Dans le texte hébreu, la toute première lettre de la Bible est un beth. Elle «a la forme d’un carré ouvert vers l’avant, comme le C dans notre alphabet. La forme de la lettre nous apprend que le commencement absolu nous échappe, il ne nous est pas possible de savoir ce qu’il s’est passé avant la création, ni ce qui se passe au-dessus de la création, ni en dessous. En revanche, nous pouvons nous interroger sur ce qu’il s’est passé depuis le commencement du monde. Nous devons même l’écouter»: voilà l’une des réflexions – il y en a plus d’une demi-page pour le seul premier verset de la Genèse – rapportées par le pasteur et théologien Antoine Nouis dans son commentaire intégral verset par verset de la Bible.
Après deux tomes consacrés au Nouveau Testament, parus en 2018 chez Olivétan et Salvator, le volume consacré au Pentateuque, soit les cinq premiers livres de l’Ancien Testament, est disponible chez les mêmes éditeurs depuis la fin de l’an passé. L’entier du corpus biblique devrait être couvert avec la publication de trois ouvrages supplémentaires à raison d’un chaque automne.
Initialement, seul le commentaire du Nouveau Testament devait être mis sous presse. Mais le succès rencontré par cette publication a convaincu l’auteur de se livrer à l’exercice pour l’Ancien Testament également. «A mes yeux, ces ouvrages étaient destinés aux professionnels, pasteurs, diacres, prédicateurs, animateurs ou catéchètes. Des gens qui, d’une manière ou d’une autre, sont amenés à faire des commentaires ou des animations bibliques. Le projet était qu’en lisant mon commentaire, ils aient deux ou trois idées pour construire leur message», explique Antoine Nouis. Mais ces livres qui ouvrent pour chaque verset un univers de réflexions ont séduit également un autre public.
«Ma grande surprise, c’est de voir que beaucoup de gens ont pris mon commentaire comme lecture spirituelle les accompagnant dans leur méditation. Pourtant, mon projet n’est pas de donner une signification à chaque verset, mais de dire comment il m’interpelle, comment il me touche. Et cette méthode rejoint les lecteurs parce qu’ils ne sont pas obligés d’être d’accord avec moi.»
Pratique pastorale
Si le rythme de rédaction des tomes consacrés à l’Ancien Testament est contraint par un projet de publication, la préparation du commentaire du Nouveau Testament a pris dix ans. «Mon commentaire verset par verset a commencé de manière presque anecdotique au milieu des années 2000. J’étais alors pasteur à Paris et, dans l’Eglise où j’exerçais, un groupe de prière a émis le souhait de mener des études bibliques. Je leur ai proposé de commencer par l’Evangile selon Jean, parce que je le connaissais mal et que cela me donnait l’occasion de le travailler», sourit le théologien. «Préparer ces rencontres m’a astreint à une lecture rigoureuse. Assez vite, j’ai mis au point une méthode qui consistait pour chaque verset à jeter un coup d’oeil aux commentaires scientifiques et au grec, puis à fermer ces livres savants pour méditer ce verset en me demandant: ‹En quoi ce verset fait sens pour moi aujourd’hui?› Et je ne le quittais pas avant une demi-heure.»
Lecture rabbinique
Un exercice qui peut amener parfois à partir dans des directions diverses, voire opposées. «J’ai été marqué par la lecture rabbinique. Son objet, ce n’est pas de trouver le sens du texte, mais au contraire d’en ouvrir le sens, d’en multiplier les lectures», explique le ministre. «Les protestants assimilent souvent le judaïsme à l’Ancien Testament. Et les pasteurs pensent connaître cette religion parce qu’ils ont appris l’hébreu. Mais c’est oublier que, pour le judaïsme, il y a la Torah écrite, ce que nous appelons le Pentateuque, mais il y a aussi la Torah orale, qui a autant d’importance et d’inspiration que la Torah écrite!» C’est en lisant les textes avec le rabbin de Valence, dans la Drôme, où il était pasteur dans les années 1990, qu’Antoine Nouis a été initié à cette richesse interprétative. Une ouverture à un mode de lecture avec lequel il se sentait en harmonie et qui l’a mené jusqu’à une thèse, publiée chez Labor et Fides sous le titre La Lecture intrigante. «J’ai travaillé non pas tellement sur les conditions d’élaboration des textes, mais sur comment cette lecture rejoint nos questionnements d’aujourd’hui.»
Bio express
1955 Naissance à Paris
1976 Commence ses études en théologie
1980 Mariage
1983 Premier poste pastoral à Dijon
1990 Année sabbatique dans une communauté mennonite aux Etats-Unis. «Ça m’a aidé à voir dans ma compréhension de l’Evangile ce qui relève de la culture et ce qui relève de la foi.»
1991 Pasteur à Valence
1998 Pasteur dans le 16e arrondissement de Paris
2007 Pasteur en banlieue parisienne
2011 Directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Réforme
2018 Création de la plateforme numérique de formation «Campus protestant»
Ma maison herméneutique
«Dans L’Autre Dieu, Marion Muller-Collard écrit sur le désarroi du pasteur qui commence dans le ministère: ‹On m’avait appris le grec et l’hébreu, un peu de latin, pas mal de dogmatique, la fameuse méthode historico-critique, de l’histoire en veux-tu, en voilà, un brin de philosophie, mais ni les dragons, ni les vieux, ni les malades ne parlent le grec et l’hébreu.› C’est vrai que comme jeune ministre j’avais l’impression de bricoler une utilisation des Ecritures: la découverte de la lecture rabbinique a été un renouvellement. J’avais l’impression de trouver enfin ma ‹maison herméneutique›, la façon d’interpréter les textes avec laquelle je me sentais en phase.»