Black Jesus

Black Jesus / Image: "Pantocrator in Black and Brown" de Brian Behm, St. Stephen's Episcopal Cathedral de Harrisburg, Pennsylvania.
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Black Jesus
Image: "Pantocrator in Black and Brown" de Brian Behm, St. Stephen's Episcopal Cathedral de Harrisburg, Pennsylvania.

Black Jesus

Par Richard Falo
20 janvier 2022

 

J’ai une routine hebdomadaire qui est le "deal petit déjeuner de la Manora" : six mini-portions plus une boisson chaude pour six francs. Cette semaine quand la serveuse m’a demandé si je voulais un chocolat chaud au chocolat noir, au chocolat au lait ou au chocolat blanc, j’ai répondu mécaniquement : « au chocolat blanc. ». L’instant d’après je percevais notre gêne à tous deux, elle étant café au lait et moi blanc. Je réalisais tout ce que ma réponse pouvait compter d’insinuations, de goujaterie et de maladresse.

 Certes, certaines personnes peuvent voir des insinuations racistes là où il n’y en a aucune, mais l’émission passant le soir même sur FR.2 intitulée « Être noir en France » allait dans l’autre sens et démontrait à l’envie la prévalence d’un racisme rampant. Le procès du meurtrier de Georges Floyd et le mouvement Black Lifes Matter ont certes fait sauter quelques verrous, il n’empêche qu’il reste un bon bout de chemin avant que les préjugés raciaux ne sombrent dans l’histoire ancienne.  

 Bien sûr, je parle depuis le bon côté de la barrière. Je ne suis pas celui qui à qui il est rappelé qu'il fait partie d'une minorité, qui se sent dénigré ou catalogué comme... 

 Je n'ai jamais été noir et je ne peux pas savoir ce que c'est que d'être le noir d'un club ou entreprise à prédominance blanche, où chaque faute ou faux pas est considéré comme typique d'une «race» entière ( alors que les défauts des blancs ne sont généralement considérés que comme étant ceux d’un individu ).

 Je n'ai jamais été femme se heurtant au plafond de verre du monde de l'entreprise où chaque mot et geste, est perçu comme l’expression de la fragilité, de l’imprévisibilité ou de nature féminine.

Peut-être n’en serions-nous pas là si Jésus avait été noir, et pourquoi pas ?  femme noire. Nos préjugés auraient certainement trouvé à s’exprimer sur autre chose que la couleur de notre peau ou nos organes reproductifs. La discrimination est-elle vouée à nous coller à la peau qu'elle soit noire ou blanche ? Pas si sûr. Le témoignage d'Annette John-Hall est saisissant.

Annette John-Hall est une journaliste noire souvent primée pour son podcast «Real Black History», un podcast sur les problèmes affectant les noirs dans la région de Philadelphie. Elle raconte ce que c’est, en tant que noire, de croire en un Jésus que la majorité vous a le plus naturellement du monde programmé à imaginer blanc :

« Quand j'étais jeune, Jésus m'accueillait tous les jours chez ma grand-mère. Une copie encadrée de la « Tête du Christ » de Warner E. Sallman ornait le mur sur sa porte d'entrée. Jésus ressemblait à un surfeur bronzé, aux cheveux bruns striés de miel et des yeux bleus qui regardaient le ciel avec bienveillance.

Le Tout-Puissant ne me ressemblait en rien, et alors ? Cela ne m'a certainement pas fait remettre en question ma foi ou mon estime de moi, car mon expérience religieuse était ancrée dans la tradition de l'Église épiscopale méthodiste africaine.

De la chorale entièrement noire qui chantait à l’église aux mères noires de l'église qui ont prié sur moi au pasteur noir qui prêchait, oui, Jésus aimait mon petit moi chocolaté, ma noirceur était continuellement validée.

Chez ma grand-mère, j'étais plus préoccupée par le fait qu'elle me crie dessus pour avoir claqué la porte que par le Jésus blanc accroché juste au-dessus.

Mais une fois que j'ai pris conscience de ma place dans le monde, j'ai réalisé que l'image était un outil puissant à travers lequel la suprématie blanche opérait. La blancheur a toujours été la valeur par défaut pour définir tout ce que l'Amérique juge digne : normes de beauté, vrai patriotisme, innovateurs, intellectuels et dépositaires du pouvoir. Même notre attribut le plus sacro-saint — la spiritualité — exige que nous priions un Dieu présenté comme blanc, un Dieu auquel on nous a programmés à croire »

Ces temps, lors des célébrations en EMS (EPAD pour les français)  je montre aux résidents en EMS des tableaux de la Sainte Famille peints par des artistes africains.  Jésus, Marie et Joseph sont noirs et cela nous fait bien rire d’un rire bienveillant et exempt de méchanceté ou mesquinerie. A l'approche de la mort, quand on fait le bilan, la couleur de peau n'a plus vraiment autant d'importance et peut-être qu’après tout en vieillissant nous devenons plus sages et intelligents.

Richard Falo

Image: "Pantocrator in Black and Brown" de Brian Behm, St. Stephen's Episcopal Cathedral de Harrisburg, Pennsylvania.