La vaccination n'est pas une œuvre du diable

Arnold Böcklin – La Peste – 1898
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Arnold Böcklin – La Peste – 1898

La vaccination n'est pas une œuvre du diable

Par Gilles Bourquin
22 novembre 2021

Déclaration en faveur de la "Modification du 19 mars 2021 de la loi COVID-19"

A l’approche de la votation populaire suisse du 28 novembre 2021 prochain, concernant la « Modification du 19 mars 2021 de la loi COVID-19 », il m’a semblé nécessaire d’affirmer et d’argumenter ici ma position en faveur de cette Modification de la loi. Je pense que le rejet de cette Modification augmenterait le danger systémique et les conséquences mortelles de la pandémie à l’échelle de la Suisse et des pays voisins, notamment en raison de l’abandon du certificat COVID. Ma pratique pastorale en paroisse me montre que les personnes non vaccinées sont plus facilement contaminées et contagieuses que les vaccinées, ce qui augmente le nombre de décès dans les familles concernées.

L’augmentation des aides financières, l’établissement d’un système de traçage au niveau Suisse et le maintien du certificat COVID figurent parmi les principaux articles de cette Modification de la loi. Ce certificat est un des enjeux les plus discutés, car son bienfondé repose en grande partie sur la reconnaissance de l’efficacité des vaccinations contre l’agent pathogène de la pandémie. Celles et ceux qui pensent que les vaccinations n’apportent pas de protection supplémentaire contre la maladie trouvent injuste que les vaccinés obtiennent des droits supplémentaires au travers de ce certificat. Si par contre on admet l’efficacité des vaccinations, alors le certificat se justifie, car il accorde plus de droits aux personnes moins vulnérables et moins contagieuses. Le vaccin et le certificat n’étant pas obligatoires, chaque citoyen choisit de se faire vacciner ou non, et en accepte les conséquences.

Analphabétisme scientifique

La militance actuelle contre les vaccinations liées à la pandémie s’inscrit dans une crise de défiance envers la médecine allopathique et les sciences modernes en général. La préférence pour les médecines naturelles n’évite cependant pas aux individus concernés de recourir à la médecine scientifique. A la fin du XXème siècle, il était question d’analphabétisme religieux lorsque l’histoire et les caractéristiques des différentes confessions et religions n’étaient plus connues. Or, il se pourrait qu’aujourd’hui, en ce début de XXIème siècle, l’on doive désormais parler d’un analphabétisme scientifique, tant les opinions diffusées sur les réseaux sociaux sont parfois éloignées des réalités scientifiques.

Le principe biologique des vaccins n’est plus compris par une partie de la population, ce qui engendre toutes sortes de suspicions et de théories du complot, l’homme redoutant ce qu’il ignore. On ne perçoit plus, notamment, que la vaccination est une médecine semi-naturelle, puisque l’administration d’un vaccin active notre propre système immunitaire, lequel enregistre la signature antigénique de l’organisme pathogène, qui lui permettra de juguler rapidement une éventuelle infection par cet organisme en produisant des anticorps. Dit autrement, notre corps s’autovaccine en permanence de façon naturelle, et les vaccins ne font qu’activer préventivement cette autovaccination. Les vaccins à ARN, en lieu et place de l’antigène rendu inoffensif, contiennent la séquence génétique codant pour cet antigène, lequel sera produit par nos cellules. Ils sont donc encore plus sûrs.

Fondamentalismes religieux et écologiques

La crédibilité des sciences modernes est aujourd’hui fragilisée sur deux fronts qui se renforcent l’un l’autre, jusqu’à parfois se confondre. D’une part, le fondamentalisme religieux, avec son rejet dualiste du monde moderne sécularisé, s’est en partie diffusé dans une mouvance ésotérique et naturaliste plus générale, révoltée contre le progrès et altermondialiste. D’autre part, ce rejet religieux de la civilisation occidentale est rejoint et nourrit par la vaste mouvance écologique contemporaine, orientée contre l’invasion humaine de la biosphère terrestre, en quête de transition énergétique et d’éco-spiritualité. Les deux fronts véhiculent des notions très positives et complémentaires à notre culture moderne, mais c’est la radicalisation de leur militantisme qui pose ici problème.

Les réactions contre les vaccinations sont parfois extrêmes sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à les diaboliser complètement. Leur danger est surévalué tandis que le danger de la pandémie est sous-évalué. Non sans un brin d’humour, observons qu’historiquement, « La peste » était diabolisée, et non son remède, comme le montre l’œuvre ci-dessus du peintre et sculpteur suisse Arnold Böcklin (1827-1901). Notre époque marquera peut-être l’histoire par son étrangeté, ayant été incapable de départager le bien du mal, allant jusqu’à craindre le remède plus que la contagion. En réalité, le vaccin est une des plus fantastiques découvertes de la médecine du XIXème siècle. Il a contribué à éradiquer plusieurs maladies graves et a considérablement amélioré la santé et la longévité en Occident et au-delà.

L’humanité perçue comme une catastrophe

On observe aujourd’hui la « contagion » du discours anthropologique par un vocabulaire catastrophiste de plus en plus riche. La collapsologie étudie le risque d’effondrement de la civilisation industrielle, tandis que son pendant populaire survivaliste se prépare à affronter l’apocalypse imminente. Dans cette perspective, la pandémie est parfois considérée comme le résultat final de la globalisation planétaire capitaliste. Les discours tant évangéliques qu’écologiques dénoncent notre responsabilité et nous avertissent d’une probable fin du monde dans un proche avenir. Dans cette perspective, nous sommes les véritables agents pathogènes dont la planète souffre à présent, et le virus n’est que notre miroir et notre jugement. Vouloir se prémunir de la pandémie au moyen d’une technique de vaccination moderne semble donc incohérent, alors qu’il convient de se tourner résolument vers un modèle de vie plus sobre que le consumérisme occidental.

Nous devons nous interroger au sujet de la dangerosité de tels discours extrémistes, car un mépris trop radical des sciences et des techniques modernes plongerait le monde dans un nouvel obscurantisme. Loin de régénérer l’harmonie planétaire, une telle dissuasion pourrait mener à une confusion désastreuse dans la gestion de nos infrastructures. Nous en voyons les premiers effets avec le rejet scientifiquement absurde des vaccinations. L’état avancé du développement de l’humanité ne permet pas un abandon pur et simple des sciences et des techniques modernes, mais requiert au contraire leur adaptation et leur sophistication afin de faire face à la crise climatique et écosystémique qui marque notre époque.

Rousseau versus Darwin

Sur le plan théorique, l’apparition de conceptions néo-rousseauistes du développement de l’humanité remet en cause les fondements darwiniens de la biologie moderne. Jean-Jacques Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, publié en 1755, postulait que la civilisation est à l’origine des inégalités sociales parce qu’elle a arraché l’homme à l’état de nature, originellement bon et privé de concurrence. Selon Rousseau, l’homme préhistorique vivait dans un état idéal où il n’avait souci que de sa propre conservation et du bien-être de ses semblables; tandis que l’homme historique est soumis à la concurrence pour la possession des biens matériels.

Un siècle plus tard, en 1859, Charles Darwin publie l’Origine des espèces, où il affirme que les individus de toutes les espèces biologiques luttent pour leur survie et sont ainsi soumis à la sélection naturelle des plus adaptés, laquelle est à l’origine de l’évolution des espèces. Darwin applique ainsi les théories de l’économiste Thomas Malthus aux écosystèmes naturels, qu’il estime soumis à la concurrence selon le modèle des systèmes économiques humains. L’état de nature ainsi désidéalisé est désormais perçu comme le pire des états, celui de la lutte de tous contre tous. Dans cette perspective, l’homme préhistorique a développé les civilisations par son intelligence afin de s’extraire de l’état de nature, en améliorant artificiellement ses conditions de vie et en cherchant à compenser la cruauté de la lutte pour la survie par des lois égalitaires, qui protègent les faibles contre les forts.

La conception darwinienne du passage de l’état de nature aux civilisations humaines est à mon sens plus réaliste que l’approche rousseauiste. A partir de l’état préhistorique de l’homme, soumis à la pression des autres espèces biologiques et aux aléas du climat, elle invite à penser les élaborations technoscientifiques comme des perfectionnements adaptatifs efficaces ayant considérablement augmenté le bien-être, la santé et la durée de vie des êtres humains que nous sommes. La croissance considérable, parfois démesurée, que ces progrès civilisationnels ont engendré nécessite aujourd’hui leur adaptation en vue d’une meilleure synergie entre nature et civilisation, qui tienne compte des limites planétaires. Mais à mon sens, loin d’une régression vers un état technoscientifique antérieur, nous faisons à présent face à la nécessité de réaliser un stade ultérieur, téchno-éco-systémique, du développement des mode de vie à l’échelle planétaire.

Je signale ici que plusieurs articles sur ces thèmes se trouvent sur mon site gillesbourquin.ch.