Reconnaître liturgiquement les maux de nos vies

Sculpture représentant le fils prodigue pardonné / Pixabay
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Sculpture représentant le fils prodigue pardonné
Pixabay

Reconnaître liturgiquement les maux de nos vies

Par Guy Lasserre
6 novembre 2021

Ces derniers mois, lors de plusieurs cultes en divers lieux, j’ai été frappé par le fait que la prière de confession des péchés évoquait les maux de nos existences en mêlant le mal commis et le mal subi (sur cette distinction, voir Paul Ricœur, Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, Genève, Labor et Fides, 2004, réédition du texte d’une conférence de 1985). Il est vrai que souvent ces deux formes sont entremêlées. Les souffrances engendrées par le dérèglement climatique sont à la fois des maux que nous subissons et dont nous sommes coresponsables. La difficulté vient quand ces maux sont globalement considérés comme péché, et donc mal commis, et que les paroles de grâce qui suivent nous les rendent imputables. Le problème apparaît surtout avec les grandes souffrances qui déterminent nos existences. Leur donner place devant Dieu est important mais les considérer uniquement sous l’angle du péché est dangereux, voire malsain. Cela peut justifier le sentiment de culpabilité injustifié qui les accompagne parfois et le pardon de Dieu ne libère pas du poids du mal subi. Pour une personne abusée, ce pardon ne suffira pas, même si elle a pu avoir peut-être une part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé. Elle ne peut pas non plus se contenter de « déposer » ses souffrances devant Dieu pour ne pas les retrouver ensuite, le risque étant de renforcer une fausse culpabilité et de bloquer d’autres démarches. Comment faire alors ?

Il me semble qu’il y a deux manières de procéder : séparer dans la liturgie la reconnaissance des maux commis et celle des maux subis ou les reconnaître conjointement, à cause de leur intrication, mais en les nommant comme tels.

Séparer le mal commis permet de le reconnaître comme péché, dans une démarche d’aveu et de repentance à laquelle répond le pardon de Dieu qui appelle à un renouvellement de vie. Donner place au mal subi peut se faire alors dans d’autres parties du culte, comme la prière d’invocation ou d’intercession, voire dans une liturgie eucharistique qui le fasse résonner aux souffrances du Christ dans sa passion. Une telle prière peut même prendre la place de la prière de confession des péchés dans l’ordre habituel du culte mais elle ne doit pas être alors suivie d’une annonce du pardon et les répons éventuels doivent être adaptés.

Reconnaître ensemble les souffrances mêlées de maux subis et commis, surtout dans une prière de confession des péchés, demande que ces deux aspects du mal soient distingués et pris en compte, aussi dans la suite de la liturgie. Il ne suffit plus de dire dans les paroles de grâce que Dieu pardonne et libère. Il me semble nécessaire de préciser de quoi il libère et de rappeler conjointement que Dieu se rend présent à nos souffrances pour nous accompagner sur un chemin de justice et de libération (voir Ex 3,7-10).

Parmi les prières d’André Dumas intitulées « Prières pour déposer nos péchés », la troisième reconnaît bien cet entremêlement de la souffrance subie et du péché, par exemple en parlant d’« égarements » et de « déchirures » (Cent prières possibles, Éditions Cana, 1982, p. 162s, voir ci-dessous). D’autres de ses prières mentionnent aussi ces deux formes du mal et donnent sa place au mal subi, en particulier « Tant de choses qui ne sont pas des fautes », voir les extraits ci-dessous, ou « Je t’en supplie, ne t’en veux pas » (Ouvrage cité, pp. 83-86). La demande n’est plus alors celle du pardon mais du passage de Dieu qui remet debout.

Faire place dans la liturgie au mal subi me semble nécessaire car, dans la vie des fidèles, ce mal touche des réalités qui peuvent être très douloureuses et qui marquent profondément nos vies, comme Lytta Basset l’a montré. La manière de procéder veillera cependant à ne pas culpabiliser faussement et à inscrire la liturgie dans un cheminement qui aille vers la résilience.

 

 

André Dumas, Prières pour déposer nos péchés, III :

« Seigneur Saint-Esprit, visite-nous quand nous sommes désespérés, quand nous tournoyons dans le flux et le reflux de nos hésitations. Visite-nous quand notre maison est murée sur nos silences, envahie de nos déchets, encombrée de nos regrets. Visite-nous quand nous payons pour nos égarements et quand nous souffrons de nos déchirures. Visite-nous aux jours sans visites. Car tu es l’avocat et le consolateur. Tu es notre avocat, qui nous défends contre les autres et contre nous-mêmes. Tu es le consolateur de ceux qui souffrent, comme si leur souffrance devait pour toujours aviver leurs plaies. Tu es le Saint-Esprit qui viens en aide à notre esprit, pour que nous puissions à nouveau nous lever et marcher à la face de Dieu, du monde et de nous-mêmes. Amen. »

 

Tant de choses qui ne sont pas des fautes

« Mon Dieu, je voudrais t’en parler à toi, qui es venu pour alléger et fortifier nos vies. Il y a tant de choses qui ne sont pas des fautes, mais simplement des difficultés, des nœuds, des vagues, dans lesquelles nous nous sentons emportés et où nous perdons pied jusqu’à nous noyer, sans savoir pourquoi. Il y a tant de choses qui arrivent, sans que nous l’ayons cherché, ni voulu, ni compris et peu à peu, tout à coup, voici que nous asphyxions dans le trouble, le regret, le remords et le noir…

Viens fortifier l’estime que nous avons en nous perdue. Prends notre main quand nos pieds ne nous portent plus. Tiens-nous debout, flageolants et pourtant vaillants, convalescents et pourtant guéris de la noirceur passée.

Il y a tant de choses qui ne sont pas des fautes, pour lesquelles il ne faut ni repentance, ni conversion, ni pardon. Mais tout simplement la légèreté et la force d’un doigt, qui fait revivre, ton doigt lié à notre doigt. Amen. »