Vaccin et certificat Covid divisent les paroisses évangéliques
«Au vu du grand nombre de clashes entre paroissiens au sujet du certificat Covid, certaines paroisses ont dû prendre le taureau par les cornes», déclare Christian Kuhn, directeur du Réseau évangélique suisse (RES). En effet, de par leur plus forte fréquentation, les Églises libres sont davantage touchées par ces mesures. Au sein du RES, elles seraient 63% à dépasser la limite de 50 personnes lors des cultes du dimanche, seuil au-delà duquel le certificat devient obligatoire.
«Des tensions apparaissent, car certaines personnes acceptent de suivre les autorités, tandis que d’autres sont dans l’opposition», détaille-t-il. «On constate de nombreux conflits d’ordre privé, au sein des familles, des groupes de maison et de toutes les équipes de service, bien que nous soyons institutionnellement pour le respect des règles sanitaires en place.»
Mobbing en paroisse
«Dans mon Église, une réunion extraordinaire a dû être mise en place afin d’expliquer pourquoi notre paroisse n’entrerait pas en désobéissance civile et refuserait également l’option du certificat Covid», raconte un paroissien fréquentant une église évangélique vaudoise, où l’on a préféré faire deux services de suite le dimanche, afin de «ménager la chèvre et le chou».
Plus que le pass sanitaire, c’est bien la question du vaccin qui sème la discorde. «Sur nos groupes Whatsapp et les réseaux sociaux, certains membres affichent la couleur, dénonçant l’atteinte à la liberté individuelle que représente pour eux la vaccination globale de la population», explique encore le paroissien, qui avoue hésiter à quitter son Église, suite au mobbing dont il aurait été «victime de la part des antivax».
Philippe Henchoz, pasteur de l’Église évangélique de Meyrin, dit également son inquiétude: «Je suis préoccupé, car je vois dans certaines paroisses une fragmentation, voire un repli identitaire autour de ce thème.»
Décalage évangélique
«Je comprends la grogne au sein des évangéliques, dans la mesure où on nous avait garanti qu’il n’y aurait pas de certificat sanitaire dans le milieu ecclésial au mois de mai. Ce retournement de veste est difficile à digérer» explique Philippe Thueler, secrétaire général de la Fédération romande d’Églises évangéliques. Selon lui, «la première source de tensions vient du fait que la Confédération, voulant bien faire, a laissé aux Églises locales le choix entre l’obligation du pass sanitaire ou la limite à 50 personnes». Les paroissiens, sachant que leur Église pouvait décider entre les deux options, se seraient donc plus facilement permis de faire pression auprès de leurs responsables.
Pasteurs et Conseils de paroisses semblent d’ailleurs tiraillés face à l’envie de certains fidèles de s’asseoir sur les consignes gouvernementales. «Il nous est en effet remonté que plusieurs pasteurs avaient été enjoints à la désobéissance civile», rapporte Christian Kuhn, qui a systématiquement déconseillé toute action en ce sens. «La désobéissance civile est d’ailleurs théologiquement non-négociable», assène-t-il.
Mais pourquoi y a-t-il chez les évangéliques plus de remous qu’ailleurs? Pour Christian Kuhn, «il existe, dans l’ADN évangélique, une tendance à la revendication de liberté et d’autonomie. Cela est finalement assez normal de la part de gens qui sont en somme la réforme de la Réforme.» Mais le théologien Pierre Gisel, membre de la Commission consultative du Conseil d’État vaudois sur les affaires religieuses, nuance: «Même si avoir un regard critique est sain, il y a une tendance, chez les évangéliques, à croire à une vérité du monde un peu autonomisée, qui vaut pour elle-même et en elle-même.» Et s’il comprend le «décalage et l’esprit critique évangéliques», Pierre Gisel attire l’attention sur le fait que «les modalités d’un refus de respecter une décision officielle» doivent être justifiées selon une «raison publique»: «Si les évangéliques expliquent un désaccord par une lecture littérale de la Bible, cela ne va pas. En revanche, s’ils arrivent à argumenter, sur un plan anthropologique et social, qu’une valeur humaine est menacée, cela est acceptable.»
Fœtus avortés
Dans une circulaire de demande d’informations adressée à l’OFSP par Freikirchen et le RES, les deux organisations formulent que «selon l’Évangile, nous ne voulons refuser à personne une présence physique dans le service.» Il est d’ailleurs recommandé plus loin, lors de services funèbres, «de ne refuser personne» pour cette raison. Il est aussi demandé pourquoi les personnes n’ayant pas de certificat ne pourraient pas «tout de même assister à l’événement en respectant les exigences en matière de masque et de distance.»
Le document explique aussi que certains évangéliques « font valoir que la technologie ARNm nécessite des délais d’introduction et de clarification beaucoup plus longs», mais aussi que «d’autres affirment que des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés ont été utilisées dans le cadre de recherches sur la technologie ARNm». Cette dernière donnée est mise en corrélation avec le «dilemme» vécu par certains végétaliens, «rejetant le vaccin parce que des tests sur les animaux sont utilisés lors de son développement.»
Jusqu’à la cour européenne de justice?
La faîtière des églises libres envisage donc de déposer une requête juridique contre la nouvelle réglementation. Le but est une exemption complète de la règle du certificat pour les services religieux et autres événements religieux, comme l’expliquait Peter Schneeberger, président de l’Union des Églises évangéliques libres, dans les colonnes de la «NZZ am Sonntag» le 3 octobre. Prête à aller jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne, la faîtière examine également deux autres alternatives: une plainte à la police afin que la justice fédérale se prononce si l’OFSP, à terme, n’était pas convaincu par les négociations en cours d’alléger les mesures actuelles. Cette démarche serait-elle une façon de calmer le jeu dans les paroisses? Selon Christian Kuhn, «les autorités doivent faire attention de ne pas trop tendre l’arc. Même si nous avons toujours réussi à faire entendre raison à des paroissiens révoltés, certaines réactions très fortes pourraient survenir, à force.»