Certificat Covid: des enterrements sous conditions
Dès lundi 13 septembre, les services religieux réunissant plus de 50 personnes seront soumis à la présentation du certificat Covid. Ainsi en a décidé le gouvernement dans sa séance du 8 septembre. Si les Églises nationales, représentées par l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) et la Conférence des évêques suisses (CES,) se réjouissent d’avoir été entendues par le gouvernement sur la limite à partir de laquelle le certificat devenait obligatoire pour les services religieux (celle-ci est passée de 30 à 50 personnes), elles regrettent qu’aucune exception n’ait été faite pour les cérémonies d’adieu.
«Les Églises nationales critiquent le fait que les services funèbres et autres rituels d’ensevelissement, également non chrétiens, ne soient pas exemptés du certificat obligatoire», écrivent-elles dans leur communiqué commun, publié le jour même. «La possibilité de vivre le deuil et de faire ses adieux ensemble est un élément essentiel pour affronter les situations de crise personnelles et sociales», argumentent-elles.
Pour cette raison, l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) et la Conférence des évêques suisses (CES) annoncent qu’elles «continueront de s’engager activement auprès du Conseil fédéral pour que les services funèbres soient exemptés du certificat obligatoire».
«Nous n’allons pas intervenir juridiquement, mais poursuivons les échanges avec le gouvernement», précise Dominic Wägli, responsable de la communication de l’EERS. «On reste en négociation et en revendication.»
Absence d’adieux?
De son côté, l’éthicien et théologien fribourgeois Markus Zimmermann, vice-président de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine (CNE), avoue ne pas comprendre cette prise de position. «À mon avis, la réaction des Églises nationales n’est pas justifiée de manière éthiquement convaincante», formule-t-il. Et d’expliquer: «Personne n’est privé de la possibilité de participer à un service funéraire: tout le monde peut obtenir un certificat, personne n’est exclu.» En effet, outre le fait d’avoir été guéri du Covid ou vacciné, le document peut également s’obtenir en se faisant simplement tester.
De fait, il juge la décision du Conseil fédéral «appropriée»: «Sur le plan moral, il s’agit d’une mise en balance des intérêts. Cette décision est raisonnable car elle est adaptée à la situation actuelle dans les unités de soins intensifs, qui sont tellement pleins que l’on doit déjà renoncer à certains patients, ce qui est grave», expose-t-il.
Tout de même, le moment si particulier du deuil n’implique-t-il pas de fait une notion d’exception, si ce n’est légale, du moins morale? «Faire son deuil est important, je suis tout à fait d’accord», répond-il tout-de-go. «Ce qui se passe lorsqu’une personne meurt aux soins intensifs est une catastrophe d’un point de vue humain: il n’y a pas d’adieu», rappelle-t-il alors.
Interrogations légitimes
Ralf Jox, bioéthicien et spécialiste en soins palliatifs au CHUV et également membre de la Commission nationale d’éthique, est plus nuancé. «La manière dont nous vivons le décès de nos proches nous marquent pour le reste de nos vies», pose-t-il sans ambages. «Des restrictions disproportionnées pourraient causer des traumas qui ont le potentiel d’entraîner une souffrance importante pendant des décennies.» Est-ce à dire que cette nouvelle mesure comporte ce risque? «Le Conseil fédéral a essayé de trouver un juste compromis. Or, en ce qui concerne les funérailles, je me pose la question si la proportionnalité a vraiment été respectée. J’aurais préféré ne pas mettre de limites de taille, qui sont toujours arbitraires, pour les funérailles, dont je suppose qu’une très faible proportion réunit plus de 50 personnes.»
Si Ralf Jox imagine que «la plupart des gens qui ne sont ni vaccinées ni guéries iront faire un test pour participer aux funérailles», il relève néanmoins la question du coût du test à effectuer: «Le certificat Covid a une tendance à discriminer les pauvres qui sont déjà discriminés dans notre société. Pour contrer ce risque, on pourrait réfléchir à créer un fonds, soutenu par les Églises, les communautés ou les paroisses, qui finance le test pour ces personnes.» Et d’insister: «Il ne faut pas oublier qu’il y des raisons très diverses pour ne pas être vaccinés (contre-indications médicales, manque d’accès, etc.) et ces raisons ne sont pas toujours moralement répréhensibles.»
De fait, pour sa part, Ralf Jox «salue le fait que les différentes Églises et communautés religieuses s’expriment publiquement sur cette décision, c’est un élément essentiel dans une démocratie qui mérite ce nom».
Conflits familiaux
Outre la question morale, sévissent les détails pratiques, cette nouvelle donne risquant bien de complexifier l’organisation des cérémonies funéraires. «Beaucoup de questions quant à l’application concrète de cette mesure sont en suspend», souligne la porte-parole de la Conférence des évêques suisses, Encarnacion Berger-Lobato. «Que faisons-nous sur les lieux si le service a commencé et qu’une 51e personne se présente? On se met alors à vérifier le certificat de tout le monde?», illustre-t-elle en exemple. Ou encore: «Aux funérailles, on trouve beaucoup de personnes âgées. Certaines ne seront peut-être pas au courant de la mesure: on les renvoie chez elles?»
Du côté des pompes funèbres, l’inquiétude se fait aussi sentir. «Notre profession n’est que partiellement préparée à la nouvelle règlementation», formule Adrian Hauser, vice-président de l’Association suisse des services funéraires. «Nous employons également des personnes qui ne sont pas toutes vaccinées ou qui n’ont pas encore terminé leur vaccination. Cela nous causera de grandes difficultés dans les semaines et les mois à venir.»
Une des questions les plus douloureuses sera de devoir demander aux familles endeuillées de se déterminer, si elles choisissent de limiter la cérémonie à 50 personnes ou si elles souhaitent que l’Église s’assure que chacun ait un certificat anti-Covid. «Faire porter cette décision aux familles est non seulement difficile mais presque impossible», exprime Adrian Hauser. «Cette mesure ne divise pas seulement la société mais les familles. Selon la décision prise, certains proches ne pourront pas assister au service, ce qui peut provoquer de la discorde au sein des familles.»
Des alternatives possibles
De son côté, Edmond Pittet, directeur des Pompes funèbres générales à Lausanne, se veut serein. «Nous avons déjà connu des services à 5, 10 et 20 et nous avons toujours su nous adapter», exprime-t-il. «D’ailleurs, depuis le plus fort de la crise, quand les restrictions ont été massives, on n’a jamais retrouvé des effectifs normaux. Les gens craintifs préfèrent s’abstenir et se contentent d’écrire aux plus proches.»
Pourtant, le risque existe pour certains défunts que l’entourage soit plus imposant. Dans ce cas, Edmond Pittet aura tendance à conseiller aux familles de ne pas publier d’annonce mortuaire avant la cérémonie et de convier les gens sur invitation pour ne pas dépasser le quota. «On peut aussi compter si besoin sur les extérieurs des églises, qui possèdent souvent de bonnes surfaces, pour installer des sonos pour retransmettre la cérémonie en direct pour le deuxième cercle, ou la cérémonie peut aussi se dérouler en plein air, ou au cimetière seulement.» L’entreprise assure également la retransmission des cérémonies en live sur Youtube. «Depuis le début de la pandémie, c’est quelque 500 cérémonies qui ont ainsi pu être suivies en direct.»
«L’EERS se réserve le droit de prendre des mesures juridiques»
Simon Hofstetter, théologien, chargé des questions de droit et société à l’EERS.
Que compte faire l'EERS par rapport à la question des services funéraires?
Depuis le début de la pandémie, l'EERS s'efforce de faire en sorte que l'accès aux funérailles reste aussi ouvert que possible, malgré toutes les mesures restrictives. Lors du premier confinement au printemps 2020, alors que tous les événements étaient interdits, le Conseil fédéral a rendu possibles les services funèbres grâce à une dérogation. L'EERS, ainsi que la Conférence des évêques suisses (CES), ont à nouveau fait pression pour obtenir une exemption dans le même esprit.
Celle-ci n’a pas été accordée cependant…
L'EERS s'est farouchement opposée à la limite de 30 personnes sans certificat pour les services religieux et les funérailles, qui avait premièrement été mentionnée dans la consultation. Cette limite aurait considérablement gêné de nombreuses paroisses dans leur pratique cultuelle. Si cette réglementation avait été maintenue, l'EERS aurait très probablement fait procéder à un examen juridique sur la question de savoir dans quelle mesure cette limite était acceptable du point de vue des droits fondamentaux.
Avec l'ajustement de la limite d'exemption de certificat à partir de 50 personnes, le respect du libre exercice de la religion a désormais un poids nettement plus important, de sorte que l'EERS et les Églises membres peuvent s'accommoder de cette réglementation.
Et pour ce qui est des services funèbres?
Une exemption n'a malheureusement pas été accordée. L’EERS, en collaboration avec les Églises membres, va dans un premier temps observer de près la situation et examiner dans quelle mesure la solution actuelle est praticable dans les paroisses et permet de ménager des espaces appropriés pour le deuil et l'adieu. Toutefois, s'il devait apparaître dans la pratique concrète des paroisses des difficultés plus importantes, l’EERS se réserverait le droit de prendre des mesures juridiques supplémentaires pour examiner la question.