De l’argent local pour un islam local

Pilier de l’islam, la Zakat est un don annuel qui peut prendre plusieurs formes. / © iStock
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Pilier de l’islam, la Zakat est un don annuel qui peut prendre plusieurs formes.
© iStock

De l’argent local pour un islam local

Cinq piliers
La toute jeune Fondation Suisse pour la Zakat (FSZ) entend repenser la manière de distribuer les dons religieux pour développer un islam plus ancré localement. Une initiative qui bouscule les habitudes.

Des cinq piliers qui définissent traditionnellement l’islam, la Zakat est peut-être le moins connu. Ce don religieux obligatoire est estimé, selon les calculs, à 2,5% de la fortune annuelle. En Suisse, impossible de savoir exactement ce que représente cette somme ni qui s’en acquitte. L’ONG musulmane Islamic Relief Suisse a récolté 1,6 million de francs issus de la Zakat en 2020. En 2013, une recherche de Silvia Martens permettait de conclure que 90% de cet impôt religieux suisse était versé à l’étranger (Turquie, Bosnie…). Pour Saâd Dhif, employé dans la finance, cela est problématique : «Les besoins de l’islam en Suisse sont connus: nécessité d’éducation, de formation continue des imams et des personnes de terrain, aide à l’intégration des personnes qui arrivent, lutte contre la pauvreté… Pourquoi ne pas répondre à ces besoins suisses avec de l’argent suisse?» Sans compter qu’une critique récurrente envers les communautés locales concerne leurs financements issus de l’étranger.

Pas de jurisprudence

En 2019, cet acteur dans une association musulmane à Fribourg ouvre la réflexion; avec plusieurs autres bénévoles de sa génération, il fonde en 2020 la Fondation suisse pour la Zakat (FSZ), à Berne. La stratégie de marque (logo, positionnement) et les standards de gestion sont calqués sur la National Zakat Foundation, structure britannique, partenaire de l’ONU et du HCR. Pour le reste, assure Saâd Dhif, les fonds apportés pour la création de la structure suisse proviennent de mécènes nationaux. Les règles de calcul de la Zakat sont celles de l’école juridique hanafite, la plus répandue dans ce domaine. «Mais la FSZ n’émet pas de jurisprudence religieuse», précise son président.

Au sein d’autres organisations musulmanes, l’initiative fait grincer des dents. «Les dons de la Zakat sont déjà répartis localement en Suisse par d’autres structures. Par ailleurs, une personne d’origine bosniaque, par exemple, doit pouvoir soutenir des œuvres d’entraide pour des personnes défavorisées dans son pays d’origine. Nous n’en savons pas suffisamment sur la fondation dont s’inspire la FSZ et sur sa manière de fonctionner. N’importe qui ne peut pas s’ériger du jour au lendemain comme un acteur de collecte sans avoir établi une légitimité pour le faire», fait remarquer Montassar BenMrad, président de la FOIS. 

Devenir légitime

La légitimité: question cruciale pour cette jeune structure. Comment être reconnu? Sur quels critères apporter de l’aide? Est-elle réservée aux seules personnes musulmanes ou ouverte à tous? Sur ces points, la toute jeune FSZ n’a pas encore de réponse claire. «Certains projets vont s’adresser principalement à la communauté musulmane, mais l’aide sociale sera destinée à tout le monde. Nous sommes en train de construire une expertise dans l’aide à l’autonomie et la lutte contre la pauvreté, le soutien aux étudiants en difficulté, la parentalité, l’accompagnement à l’intégration. Notre fondation se veut d’abord un acteur administratif», assure Saâd Dhif. «Pour ce qui est des partenaires, il est important pour nous de travailler avec des acteurs locaux reconnus par l’Etat et des structures ayant une compréhension contextualisée de l’islam en Suisse.» Sans campagne de publicité et en pleine pandémie, la fondation a déjà récolté 100'000 francs et en a distribué 30'000, sous forme d’aides sociales. Un premier rapport sera publié à l’automne 2021.