La parole prend vie au Musée international de la Réforme
«Un personnage commun apparaît. Peu à peu hors du commun, dont l’étrangeté comme la douceur, la tendresse comme la radicalité ont nourri les histoires que l’on a raconté de lui». Portés par la voix de la comédienne française Jeanne Balibar, la formule résonne comme une mise en marche. Les mots sont ceux de l’écrivain Frédéric Boyer, mis en images par l’illustrateur Serge Bloch. De leur ouvrage Jésus, l’histoire d’une parole, ils ont créé douze récits animés autour de la figure de Jésus, à découvrir au Musée international de la Réforme à Genève jusqu’au 2 août.
Le duo rempile donc. Après «Il était plusieurs fois» qui portait à l’écran onze récits mythiques de l’Ancien Testament, inspirés là encore d’un ouvrage réalisé en commun Bible. Les récits fondateurs, c’est au Nouveau Testament qu’ils s’attaquent à travers un projet artistique.
Une relecture contemporaine
Mais qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit ni d’un biopic de Jésus, ni d’un Évangile illustré ou d’un catéchisme en images. Les récits animés forment une traversée poétique des paroles et des gestes rattachés à Jésus, «qui ont autant terrorisé qu’émerveillé une société tout entière», commente Frédéric Boyer.
«Nous avons choisi douze moments qui nous apparaissaient comme les plus intenses et qui intriguent encore aujourd’hui. Ils s’adressent à tous, avec l’envie de faire entendre la singularité des récits et d’une parole qui les traverse, en portant un regard moins convenu ou traditionnel sur ces textes», explique l’écrivain et directeur des Éditions P.O.L.
En effet, la relecture des textes du Nouveau Testament est contemporaine, l’interprétation de la parole qui l’habite existentielle. La narration est poétique et dessinée. Les traits de l’illustrateur mythique de Max et Lili sont sobres, vifs et efficaces, ils font résonner le texte et le colore d’émotions, en y apportant aussi de la modernité en intégrant des éléments urbains qui permettent le dialogue entre deux époques.
L’arrivée de l’inattendu
À l’image de leur projet sur l’Ancien Testament, les deux narrateurs transmettent une histoire, celle d’une parole. Quelle est-elle? «Elle commence par un appel au changement. Elle traverse toute la vie: comment la recevoir, la donner? Tout comme la résurrection, c’est une parole pour retourner à la vie», affirme l’écrivain. Et cette parole qui a bouleversé une société tout entière garde sa pertinence aujourd’hui encore, dans son appel à la liberté, à la vie et à l’inattendu.
Mais au début, tout commence par une attente. «Dans une époque de troubles, de guerres et de divisions résiste une espérance. Et ce qui arrive, c’est l’inattendu. C’est dans ce contexte-là que s’écrivent ces histoires autour d’une personne, dans ce creuset que s’écrit l’Évangile», rappelle Frédéric Boyer.
Les douze épisodes, comme des chapitres, sont évocateurs, suivent la chronologie des textes dont ils s’inspirent: l’attente est rattrapée par l’inattendu qui s’impose avant de laisser place à l’aventure, à la joie radicale et aux miracles, avec toujours une place pour les petits et la vie, faite de don et de partage, avant de voir venir la séparation submergée par l’espérance et enfin l’apocalypse.
Un homme comme les autres
À chaque récit le même point commun: Jésus, l’homme qui incarne la parole. «Je le souhaitais loin des clichés de toutes les représentations que l’on connaît de lui. C’est un petit bonhomme comme tout le monde, identifiable par un seul point rouge qui le suit. Et finalement, le personnage évolue, au fil des récits, de sa révélation, d’une parole qui le change», décrit Serge Bloch, qui se dit porté par la poésie de Frédéric Boyer, par une histoire des idées plus que par la croyance. C’est donc librement, avec le plaisir du risque que l’illustrateur a abordé le projet. Ainsi, «la Passion, par exemple, est effleurée, le dessin est allusif plutôt que démonstratif», détaille-t-il sur un épisode que l’écrivain, quant à lui, a abordé par le biais de la séparation.
Si les récits tournent autour de Jésus, c’est l’histoire d’un enseignement sur lesquels se focalisent les deux narrateurs, avec l’idée d’interroger la réception des textes. «L’Évangile peut être lu comme de la littérature, car le texte constitue la mémoire d’un enseignement et en même temps c’est l’histoire d’une destinée restée mystérieuse», commente Frédéric Boyer. Un destin en marche, mû par une parole, «une parole qui ouvre à plus grand que nous, parfois exigeante, plus que la vie, mais moins désespérante. L’idée d’une chose possible est née de l’impossible», nous conte Jeanne Balibar.
Infos pratiques
- Une exposition: Jésus, douze récits animés, par Serge Bloch et Frédéric Boyer et avec la voix de Jeanne Balibar, une production Bayard. A voir au Musée international de la Réforme à Genève jusqu’au 2 août.
- Un livre: Jésus. L’histoire d’une parole, de Serge Bloch et Frédéric Boyer, Bayard 2020.