"Dieu, la nature et nous", une publication substantielle!
J'ai commandé le hors-série du mensuel "Réformés", sous-titré « Repères pour une écologie protestante », qui vient de sortir et ai passé plusieurs heures du pont de l'Ascension à le lire. Bon, la météo s'y prêtait mais ce n'est pas pour cela que j'ai trouvé excellent, formidable. Comment l'équipe responsable a-t-elle pu mettre ce volume sur pied en quelques mois ? Le fait est qu'elle a interviewé et/ou pu utiliser les travaux de nombreuses personnes compétentes mais cela reste un exercice très réussi.
Pour commencer par le plus simple : belle présentation, aérée, avec de nombreuses illustrations bien choisies, des phrases mises en valeur, des tableaux, des encarts. Ensemble bien nourrissant, mais qui reste agréable à lire. Quatre parties : 1) Comprendre - Une planète sous pression ; 2) Transformer - Le tournant éco-théologique; 3) Agir - Les visages de l'engagement vert; 4) Pour aller plus loin.
La première est une présentation ramassée, avec aussi de belles photos, de l'état des lieux quant aux défis écologiques, avec un accent particulier sur le dérèglement climatique. En rappelant que les scientifiques attirent l'attention sur ce phénomène absolument majeur depuis les années 1970 -voire même avant avec la commandant Cousteau (les moins jeunes se souviennent de son film "Le Monde du silence" en 1956 ) - Cousteau qui s'est ensuite engagé fortement dans la cause environnementale. On y rencontre l'ex-lausannois André Gorz, Jane Goodall, l'athée assumé Jacques Dubochet, Vandana Shiva, Bertrand Piccard, et Greta bien entendu. Une interview d'Antoine Chollet de l'UNIL, décortique les lenteurs/contraintes et les (néanmoins !) mérites de la démocratie.
La section "Transformer" présente les théologies vertes. Le christianisme est-il anti-écologique, la Bible demande-t-elle de dominer la planète, comment interpréter le fameux verset de la Genèse ? Comment comprendre la Création ? Ecopsychologie et écospiritualité, problématique œcuménique, les apports des théologies du Sud, des féministes. Justice climatique et justice sociale, qui sont/doivent être liées. On évoque bien sûr Max Weber et l' "éthique du protestantisme". Les réformateurs ont valorisé le travail, n'ont pas mis le profit à l'index, et il est évident aux yeux de tous (surtout aux Etats-Unis et dans des mouvements partis des USA vers les pays en développement) que l'accumulation matérielle est bien près du centre de ce que les (tél)évangélistes promettent. Pourtant il est clair aussi que de nombreux protestants se sentent proches de la sobriété heureuse de Pierre Rabhi et d'autres mouvements dans des sens de frugalité, simplicité, refusant l'exploitation irréfléchie des ressources etc. La question est posée de la résistance possible à une théologie qui verdit de la part de certains chrétiens.
Le chapitre "Agir" s'ouvre sur une interview de l'alsacienne Caroline Ingrand-Hoffer, "pasteure des zadistes" qui s'opposaient en 2016 à un contournement autoroutier. Près de chez nous, sont décrites les deux paroisses vertes de Chavannes-Epenex, dans l'Ouest lausannois, et celle de Chêne (GE). Puis des démarches écologiquement engagées, sur le terrain, dans l'agriculture, les énergies renouvelables, un écovillage autogéré. Une jeune psychologue reprend à son compte une phrase du président Obama il y a 8 ou 10 ans: "Nous sommes la première génération à voir les dégâts du changement climatique et la dernière à pouvoir influencer un changement d'orientation".
Des éléments de réponse à la question "Militer... jusqu'à désobéir ?", suivies de '"L'Eglise peut-elle changer de logiciel ?" Et une section traitant du lobbying pour le climat par plusieurs organisations chrétiennes - lobbying ici dans un sens solidaire, convivial et orienté vers la (sur-)vie.
Le salut peut-il venir (en partie au moins) de l'appel à la justice ? ll y a vingt ans encore, l'idée aurait fait rire (aux larmes ?) et décrédibilisé son auteur. Aujourd'hui, il n'en est rien. On se souvient de la réussite du cas Urgenda, aux Pays-Bas où, par un jugement définitif de décembre 2019, la Cour suprême a conclu que, par son manque d'action adéquate le gouvernement portait atteinte aux droits fondamentaux des citoyens, et qu'il devait par conséquent agir plus vigoureusement en matière de climat. En Suisse, les Aînées pour la protection du climat sont actives - et attendent toujours un arrêt du Tribunal fédéral (peut-être guère pressé ?). La reconnaissance au plan international de la notion d'écocide sera une dimension nécessaire, aux côtés de tant d'initiatives locale et nationales - et d'incitations politiques.
Pour terminer (last but not least), des textes courts de personnalités engagées sur un plan éco-spirituel, dont le professeur Pierre Bühler qui cite Friedrich Dürrenmatt disant "Je suis protestant et je proteste" (peut-être pourrions-nous y réfléchir plus souvent - note de J.M.) Puis six pages de textes-clés d'une pensée écologique chrétienne, de Hildegarde de Bingen et François d'Assise, en passant par Calvin et Luther, jusqu'à Leonardo Boff, des théologiennes anglo-saxonnes et allemande, Otto Schäfer et Frédéric Rognon. Très utile.
Même si par hypothèse le dérèglement climatique devait ne pas être votre tasse de thé préférée, et que vous n'ayez qu'à moitié envie d'être "contaminé" par des réflexions et démarches trop vertes, "Dieu, la nature et vous" est une somme passionnante. Dont le signataire de ce billet espère qu'elle saura susciter toujours plus de réflexions et d'actions vis-à-vis d'enjeux auxquels les Eglises, au sein de nos sociétés, sont confrontées de manière aiguë.
Le premier hors-série de Réformés peut être acheté en librairie. Il peut également être commandé au prix de 25 fr. sur le site de l’OPEC : www.protestant-edition.ch