«La première période de ma peinture, c’est l’amour». C’est à cette citation du peintre et théoricien français Maurice Denis (1870 – 1943) que l’on doit le titre de l’exposition du MCBA de Lausanne. Maurice Denis. Amour retrace pour la première fois en Suisse depuis 50 ans, et autour de plus de 90 œuvres, la richesse de la production picturale du peintre jusqu’à la Première Guerre mondiale. 

La visite commence par la période nabie de Maurice Denis, un courant dont il sera le fondateur et théoricien. «Maurice Denis et ses camarades se voient prophètes d’un nouvel art qui doit être autre chose qu’une simple copie de ce que l’on voit (Le terme ‹Nabi›, dérivé de l’hébreu, signifie ‹prophète›, NDLR). Les nabis ont le souhait de redonner une part spirituelle à l’art, au sens large du terme» souligne Catherine Lepdor, conservatrice en chef du MCBA et commissaire de l’exposition avec Isabelle Cahn.

Profondément croyant, Maurice Denis sera le seul à ancrer cette spiritualité dans le christianisme. On le surnomme «le nabi aux belles icônes», en raison de son inclination pour les thèmes chrétiens, dont le Christ vert (1890), peint alors qu’il n’a que 20 ans, est représentatif.

Le peintre opère une heureuse combinaison entre la révélation du divin et la vie quotidienne. «Pour Maurice Denis, l’amour divin s’actualise dans son amour pour son épouse. Il renouvelle ainsi l’iconographie classique en mettant en lien sa vie intime et les scènes chrétiennes. On est amené à s’interroger: comment aujourd’hui cette bonne nouvelle est-elle vécue?» explique la commissaire de l’exposition. La Toilette de l’enfant (1899) représentant Marthe Meurier, la femme du peintre, avec leur fille, renvoie sans équivoque à une Vierge à l’Enfant moderne. Autre exemple: dans La Cuisinière (1893), le peintre réunit sur la toile sa jeune épouse et, en arrière-plan, l’image de Jésus chez Marthe et Marie de Béthanie. «Quand il s’incarne dans des représentations de la modernité, ce militantisme catholique en terre protestante suscite nombre de réactions!» constate Catherine Lepdor. 

Un voyage à Rome – Maurice Denis sera un grand admirateur de Fra Angélico – conduira l’artiste vers une peinture plus organisée, où rythme et mélodie se font palpables. Si bien que la commissaire d’exposition a choisi de diffuser des airs de Debussy dans l’une des salles de l’exposition. «Les troncs d’arbres marquent le rythme; les éléments du décor et les personnages la mélodie», souligne Catherine Lepdor, pour qui le peintre est aussi l’un des plus grands coloristes de sa génération. «C’est le roi du rose, qui est une couleur très difficile à utiliser en peinture. C’est comme si la lumière sortait du tableau, s’enthousiasme-t-elle en contemplant Légende de chevalerie (trois jeunes princesses) (1893). On peut quasiment dire à quelle heure de la journée nous sommes!»

Cette recherche d’élévation, cet amour de la nature, de la femme et de l’art qui s’expriment dans les œuvres du peintre, placent le spectateur au-delà de l’agitation de la vie moderne, le laissant entre ciel et terre.