Le Jésus-Christ coranique n'a pas été crucifié
Et si Jésus n’avait jamais été crucifié, mais qu’un autre avait pris sa place sur l’infâme croix? C’est l’hypothèse à laquelle adhèrent la majorité de la communauté musulmane, Jésus détenant en islam un statut tout particulier. Explications avec l’islamologue français Guillaume Dye, qui a co-dirigé l’ouvrage Le Coran des historiens (Ed. Cerf, 2019).
Qu’est-ce que le Coran et la tradition musulmane nous disent de la mort de Jésus?
Le Coran semble dire des choses différentes à certains endroits. Il existe des versets où il est explicitement question de la mort de Jésus: par exemple dans la sourate 19, où Jésus parle lui-même de sa mort à venir. Il y est d’ailleurs fait état d’une manière qui ne se différencie pas de ce qu’on peut rencontrer dans le christianisme. Mais on a aussi les fameux versets de la sourate 4, à partir du verset 155, qui ont fait couler beaucoup d’encre. Évoquant les juifs, le texte rapporte ces mots (v. 157): «Or ils ne l’ont ni tué ni crucifié, cela leur est apparu ainsi.» Pour la majorité des musulmans et des savants occidentaux, ce passage indique que Jésus n’est pas véritablement mort sur la croix, que c’était un faux semblant, une illusion.
Que se serait-il alors passé ce jour-là?
Le Coran ne précise pas s’il se serait agi d’un sosie mis à mort à sa place ou d’une illusion collective. Le texte dit simplement que «cela leur est apparu ainsi», sans que le référent de « cela » soit très clair. Les choses avaient une certaine apparence, mais la réalité était autre. Il existe différentes lectures de ce verset, mais l’interprétation la plus courante en islam veut que Dieu ait élevé Jésus à lui en lui évitant ce supplice. Cette croyance ressemble d’ailleurs à ce qu’affirmaient déjà certains courants chrétiens anciens comme le docétisme, qui réfutaient l’idée que le Christ était mort sur la croix.
Pourquoi, selon la théologie musulmane, Jésus n’aurait-il pas pu être crucifié?
L’argument principal mis en avant par les penseurs musulmans à travers les siècles, c’est que Dieu n’abandonnerait pas l’un de ses envoyés. Il ne pourrait pas laisser un de ses prophètes à son triste sort et vivre un châtiment aussi humiliant; il ne pourrait que venir à son secours.
Entre l’hypothèse d’un sosie ou d’une illusion collective, laquelle a été retenue par la tradition?
L’interprétation la plus courante en islam opte pour l’idée d’un sosie– on évoque souvent Juda, que Dieu aurait transformé en sosie de Jésus pour qu’il soit ainsi crucifié à sa place et puni de sa trahison. Mais ce n’est pas la seule lecture. Dans la recherche scientifique, l’interprétation la plus récente, bien qu’elle reste minoritaire en termes de statistiques, pose que la crucifixion de Jésus a bel et bien eu lieu. L’erreur de jugement dont parle le texte coranique se porterait alors uniquement sur les juifs qui s’attribuent la mise à mort de Jésus et d’avoir donc eu le contrôle des événements. Le Coran répond alors qu’ils se trompent, qu’ils sont dans l’illusion car c’est Dieu lui-même qui a fait mourir Jésus pour que son plan s’accomplisse.
Cette interprétation est très proche de la vision chrétienne…
En effet, l’idée de la mort de Jésus qui fait partie du plan général de Dieu et d’un Dieu qui est aux commandes et dirige les événements pour faire échouer ses adversaires est ici un point de convergence notoire avec le christianisme.
Pour la majorité des musulmans, Jésus ne serait donc pas mort. Et qu’en est-il pour Mahomet?
Il n’y a pas du tout de doute autour de la mort de Mahomet. Elle est considérée parfaitement avérée par les musulmans. On peut toutefois ajouter que selon certaines traditions islamiques, les compagnons de Mahomet ont été surpris par sa mort, parce qu’ils s’attendaient à ce que la fin des temps intervienne de son vivant.
Quelle est la particularité de Jésus dans le Coran?
Jésus est une figure à part dans le Coran à différents égards. S’il est représenté dans certains passages comme un envoyé de Dieu parmi d’autres, à l’instar d’Abraham ou Jacob par exemple, à d’autres moments le texte lui concède des qualificatifs que ne reçoit aucun autre personnage. Jésus est notamment le seul qui est appelé «le Verbe de Dieu» ou encore «l’Esprit de Dieu». Par ailleurs, sa naissance est miraculeuse et c’est son retour sur terre qui marquera la fin des temps quand, selon certaines traditions non-coraniques, il tuera le Dajjâl (le faux messie, l'Antéchrist). En outre l’Esprit saint est mentionné quatre fois dans le Coran, dont trois fois en rapport direct avec Jésus.
On a presque l’impression d’un statut supérieur à celui de Mahomet...
À certains égards, oui. Mahomet est nommé explicitement dans le Coran que quatre ou cinq fois et il ne fait pas de miracle. Alors que le Coran décrit un certain nombre de miracles réalisés par Jésus, puisés en général plutôt dans les écrits chrétiens apocryphes, comme quand par exemple il fabrique avec de la glaise un oiseau, souffle dessus et l’oiseau s’envole. Dans le Coran, c’est toujours Dieu qui intervient, mais c’est à travers Jésus que ces miracles se réalisent. Par contre, pour la christologie coranique, Jésus n’est pas Dieu et ne saurait être le fils de Dieu. Donc la figure de Jésus est à la fois une figure de convergences et de tensions entre ces deux religions. C’est quelque chose qu’on va continuer à retrouver dans l’histoire des relations islamo-chrétiennes.