Mais qu’est-ce que ça peut te faire ?
J’ai souvent l’impression, dans les multiples organes décisionnels de ma vénérable institution ecclésiastique, que l’on passe un temps fou à discuter de choses sur lesquelles nous n’avons finalement pas d’emprise. Ce que fait ou devrait faire l’organe supérieur, ce à quoi nous aurions le droit, ce que font et ne font pas les autres.
J’ai observé ce réflexe à tous les étages de la machine : paroissial, inter-paroissial, régional, cantonal. Et bien sûr en moi.
En particulier dans le contexte des diminutions de ressources ministérielles. « Et eux dans leur région, est-ce qu’ils ont autant de diminution que nous ? » « Et elle, est-ce qu’elle fait autant de service funèbre que moi ? » Et le CS devrait faire plus de ceci, et si seulement le synode était plus comme cela. Et les ministres, et les laïcs, et les voisins, et les jeunes, et les aînés…
Une des plus anciennes questions de l’Église
Ce réflexe de se mêler des affaires des autres n’est pas nouveau. Le Christ est à peine sorti du tombeau que déjà Pierre lui pose la question par rapport à Jean :
« Seigneur, et lui ? Qu’est-ce qui va lui arriver ? »
— Évangile selon Jean, 21, 21.
La réponse de Jésus est d’une puissance de libération phénoménale :
« Mais qu’est-ce que ça peut te faire ?
Toi, suis-moi ! »
Au lieu de te mêler des affaires des autres, sur lesquelles tu n’as pas d’emprise, mêle-toi de ce qui te regarde ! C’est là, et seulement là, ton domaine de responsabilité. Ton appel, ici, maintenant, est de suivre le Christ, tel que tu es, avec ce que tu as. Laisse les autres vivre leur vie, et leur appel.
Arrête d’attendre des autres les conditions du changement que tu veux voir, et sois ce changement pour l’Église et le monde.
Mais qu’est-ce que ça peut te faire ?
Quel impact sur nos institutions sclérosées, si l’on mettait cette petite parole du Christ en pratique ? Si l’on arrêterait de se mêler de ce que font et ne font pas les autres, pour essayer de suivre soi-même notre appel — d’individus, de paroisses, de conseils, de régions, etc.?
Peut-être, peut-être, qu’il se passerait certaines des choses suivantes.
Plus de temps
On économiserait des heures et des heures perdues en discussions stériles à parler de choses qui ne nous regardent pas, où quantité de forces ministérielles et laïques sont mobilisées en débats qui grillent énormément d’énergie, étouffent la créativité, et renforcent le statu quo. J’ai peu d’années de ministère au compteur, mais j’ai déjà des pages et des pages d’exemples de telles discussions paralysantes.
Toutes ces heures perdues, si elles étaient rachetées, pourraient soit être investies dans du travail efficace, soit — mieux ! — perdues en discussions fécondes. Prendre le temps de se connaître, de rencontrer, de partager nos craintes et nos rêves, nos joies et nos peines, et les porter ensemble devant Dieu. Bref, de suivre le Christ.
Plus d’autonomie
En conséquence, au lieu de se plaindre de ce que l’on a pas pour tirer la couverture à soi et faire plus-de-la-même-chose-parce-qu’on-a-pas-les-forces-pour-autre-chose, on chercherait peut-être à discerner ce qu’on est appelé à vivre avec ce que l’on a réellement, pour rayonner de l’Évangile là où on est. Et on a toutes et tous énormément : le Christ, déjà. Théoriquement c’est suffisant pour ce à quoi nous sommes appelés.
Et tout ce qui nous est donné en plus, selon les endroits : des laïcs et laïques motivées et compétentes, des ouvertures et des contacts dans de nombreuses sphères de la société, des bâtiments partout dans le canton, une tradition riche et porteuse, des fonds et placements phénoménaux, du temps… et parfois même des ministres !
Franchement, que demander de plus pour suivre le Christ ?
Plus de liberté
Au lieu d’avoir une espèce d’imbroglio bureaucratique qui génère de la passivité et de l’impuissance, on évoluerait peut-être vers une forme de gouvernance partagée claire et responsabilisante, en délimitant autant que possible des domaines précis sur lesquels des groupes bien définis sont réellement souverains. C’est-à-dire capables d’action sans devoir passer par dix-huit niveaux d’approbations. Comme le vit déjà Pain Pour le Prochain.
À terme, la collaboration et la communion prendraient peut-être un peu plus la forme d’un réseau décentralisé, basé sur la liberté plutôt que sur la contrainte institutionnelle et territoriale.
Plus d’énergie
En cultivant la joie de ce que l’on a, et donc en laissant la liberté à l’autre de vivre un peu plus sa vie, on aurait probablement beaucoup moins de personnes qui quittent l’Église dégoûtées. Épuisées qu’on leur dise constamment ce qu’elles n’ont pas le droit de faire, fatiguées qu’on les fasse rentrer dans le moule des attentes implicites et explicites d’un petit nombre.
Donc au final, peut-être plus de bénévoles, de ministres et de laïcs, pour porter ensemble la joyeuse mission qui est la nôtre : être témoins de l’Évangile auprès de toutes et tous, sans discrimination.
Toi, suis-moi !
Tout cela est hautement hypothétique, et il faudrait le tester pour le vérifier.
Bien sûr, le Pierre en moi espère que par cet article, les autres vont réaliser qu’ils doivent arrêter de se mêler de mes affaires, et me laisser en paix pour paître les brebis que le Christ me confie.
Mais non, Jésus me résiste. Qu’est-ce que cela peut me faire, ce que font les autres ?
À moi, aujourd’hui, d’agir à mon niveau pour être le changement que je veux voir, à la suite du Christ.
Dans un prochain article, j’évoquerai le début de mon pèlerinage — avec d’autres ministres — dans ce sens.