L’ouverture d’une haute école de théologie en Suisse romande redistribue les cartes
Photo: Le campus de Saint-Légier ©HET-PRO
Le projet d’une formation théologique de type «haute école», davantage axée sur la pratique que les traditionnelles études universitaires se dessine en Suisse romande. La haute école de théologie (HET-PRO) propose, dès la rentrée prochaine des cursus d’études avec à la clé des diplômes de bachelor et de master en théologie. Porteur de ce projet, l’Institut biblique Emmaüs disparait au profit de la nouvelle formation HET-PRO à Saint-Légier. Le corps professoral vient d’être désigné choisi. «Les huit enseignants sont d’arrière-plan très différent, seuls deux enseignants de feu Emmaüs poursuivront à la HET-PRO. Des chargés de cours interviendront dans plusieurs domaines au niveau du master afin de garantir une diversité d’enseignement», explique Jean Decorvet, recteur de cette nouvelle institution.
Deux écoles, deux visionsDans ce contexte, deux visions de la formation des pasteurs s’affrontent. D’un côté, une formation soutenue par la frange évangélique et mise sur pied par un groupe formé de pasteurs et théologiens proches de cette mouvance. Ils considéraient qu’il manquait au paysage romand une école qui soit à la fois: protestante, professante et professionnalisante. Cette vision se confronte à celle de la majorité des réformés. «Les futurs pasteurs effectuent d’abord un master en théologie au sein des facultés de théologie universitaires. Dans un deuxième temps, la formation se poursuit par une spécialisation professionnelle de deux ans qui n’est pas organisée par l’université, mais par les Eglises (stages et enseignements). Ce modèle de formation est exigeant, mais à notre sens il donne pleinement satisfaction. La présence dans le parcours de formation au pastorat d’une phase académique forte présente l’avantage d’immerger pleinement l’étudiant dans une approche universitaire des questions religieuses» expliquent les doyens, Jean-Daniel Macchi de la Faculté de théologie de l'Université de Genève et David Hamidovic de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Lausanne.
L’argument d’une formation duale et exigeante n’a pas l’air de convaincre. «Les facultés traditionnelles forment des théologiens. Le lien avec la foi se fait souvent en dehors des cours», lâche Jean Decorvet. «Il est vrai que la théologie met en question la foi et que cela peut en devenir desséchant. Les Eglises devraient plus s’impliquer dans l’accompagnement spirituel et ecclésial des étudiants durant leur formation académique», admet Xavier Paillard, président du conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV).
Jean-Daniel Macchi et David Hamidovic complètent, «quoi qu’il en soit, les universités de Genève et de Lausanne sont profondément soucieuses du bien-être et de l’accomplissement de leurs étudiants. La spiritualité peut y contribuer, raison pour laquelle les deux universités offrent un excellent service d’aumônerie». Ils ajoutent: «s’ils le souhaitent et s’ils sont concernés les étudiants sont invités à participer à la vie de leurs communautés religieuses, ce qui, nous en sommes convaincus, contribue à enrichir leurs parcours de vie et leur formation.»
La HET-PRO jette un pavé dans la mareL’ouverture prochaine de la HET-PRO met le landerneau protestant en émoi. Certains y voient une volonté de proposer une formation alternative pour les réformés. «La HET-PRO n’a aucunement la prétention de se substituer aux Eglises sur ce qui est demandé aux pasteurs. Elle a plutôt le désir de proposer une formation en adéquation avec les besoins des communautés ecclésiales», rassure le futur recteur.
«Les Eglises réformées prennent acte que les communautés évangéliques préfèrent lancer un nouveau projet plutôt que de travailler à la consolidation et à l’élargissement des formations existantes», relève quant à lui Xavier Paillard. «Un lieu de formation pour les futurs ministres évangéliques est une bonne chose, cela leur amènera des compétences critiques ainsi qu’un enrichissement». Tout en gardant à l’esprit que «le manque de vocation reste le défi actuel et les Eglises romandes préfèrent consolider ce qui existe plutôt que de lancer un projet de plus. Nous avons nos structures de formation et ne voulons pas nous disperser».
Les critères d’accession au pastorat restent, pour le moment, un master en théologie à la faculté de Lausanne ou Genève puis le parcours de formation proposé par l’Office protestant de la formation. «Une reconnaissance d’équivalence n’est pas du ressort des Eglises; c’est une question académique. Le fait qu’un diplôme de la HET-PRO puisse être jugé comme une équivalence dépend, de fait, des universités à qui la question sera posée», explique le président du Conseil synodal de l’EERV.
Il est, en effet, encore un peu tôt pour parler de la reconnaissance des diplômes délivrés par la HET-PRO. «Quant à réfléchir à des équivalences destinées à des étudiants qui souhaiteraient rejoindre la filière universitaire après avoir suivi une HET, c’est évidemment totalement prématuré. Comme la future HET n’existe pas encore, il est impossible d’en évaluer le niveau, la qualité scientifique et le projet intellectuel qu’elle soutient», argumentent Jean-Daniel Macchi et David Hamidovic, doyens des deux facultés romandes de théologie protestante.
Une formation commune pour les pasteurs évangéliquesAu niveau des assemblées évangéliques, il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandation quant à la formation des pasteurs. L’ouverture prochaine de la HET-PRO favorisera-t-elle l’adoption d’une base commune de formation? «Nous ne sommes pas en recherche d’uniformité!», assène Serge Carrel, responsable de la formation d’adultes de la Fédération romande des Eglises évangéliques. «La diversité des formations suivies par nos pasteurs est un gage pour rencontrer les diverses personnes qui fréquentent nos Eglises. La formation universitaire requise par les Eglises réformées romandes constitue souvent un moule qui empêche l’expression de la diversité des dons et des ministères, telle que le Nouveau Testament l’envisage.»
Olivier Cretegny, président de la Fédération évangélique vaudoise reconnaît, tout de même, qu’«il est indispensable que les pasteurs des Eglises évangéliques soient de mieux en mieux formés pour répondre aux besoins sociospirituels de la population.» Il n’en reste pas moins qu’«il ne suffit pas d’être bien formé. L’appel est primordial. Il faut avant tout savoir discerner chez le futur pasteur s’il y a un réel appel pour ce ministère», rappelle Walter Zanzen, pasteur de l’Eglise évangélique du Réveil de Genève.