L’attrait pour des chrétiens venus d’ailleurs
Dans leurs valises, ils n’emportent parfois que leur foi et leur religion. A leur arrivée en Suisse, les migrants se rattachent à ce maigre et pourtant riche bagage. Démarre alors une quête essentielle : celle de trouver une communauté religieuse dans laquelle ils pourront vivre et exprimer leur foi chré- tienne, et qui constitue un premier "sas" dans le pays d’accueil. En 2009, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a recensé plus de 350 communautés chrétiennes et plusieurs milliers de membres sur le territoire helvétique. Depuis une vingtaine d’années, le nombre de ces communautés chrétiennes issues de l’immigration africaine, sud-américaine et asiatique est en importante croissance. Le phénomène suscite un intérêt de la part des Eglises historiques: celui d’être Eglise ensemble. L’intégration autant théologique que sociale s’initie dans les différentes Eglises réformées de Suisse romande. Une mission qui incombe à leur statut d’institution publique, reconnu par l’Etat. Mais derrière cette volonté de rapprochement entre les différents courants du protestantisme, se cache pourtant une difficulté: celle d’identifier ces nouveaux interlocuteurs, dont on ignore la culture, la tendance théologique et parfois même l’existence. Pour l’heure, c’est au niveau local et paroissial que des initiatives, comme des cultes célébrés en commun, émergent. Les Eglises cantonales et la FEPS, en sont, quant à elles, au stade de la réflexion sur le meilleur accueil à mettre en place pour ces communautés issues de l’immigration.
Protestantisme d’ailleurs
Le protestantisme issu de l’immigration est pluriel et mouvant. Difficile d’en esquisser le portrait, tant on y trouve tout et son contraire. Mais pour les acteurs des Eglises réformées de Suisse romande qui travaillent avec ces communautés issues de l’immigration, des tendances se profilent malgré tout. La majorité de ces communautés se créent autour d’un leader, souvent autoproclamé et parfois consacré pasteur. L’obédience est le plus fréquemment évangélique, avec une tendance au pentecôtisme. Les membres de ces communautés intergénérationnelles sont fortement engagés, gage de pérennité. Si le point de ralliement est avant tout ethnique, linguistique ou culturel, on observe une internationalisation de ces communautés qui se donnent clairement pour mission d’évangéliser. Mais derrière l’engagement, les moyens manquent. Et la priorité reste de disposer d’un lieu où se rassembler pour prier. Pour disposer d’un local, ces communautés n’hésitent pas à venir frapper à la porte des paroisses réformées. C’est là que les Eglises historiques locales entrent en jeu et que des premiers contacts se nouent. «Nous voulons établir des relations plus profondes tout en maintenant celles qui nous lient contractuellement dans la location de locaux paroissiaux», explique Sabine Jaggi, du service Migration de l’Eglise réformée Berne-Jura-Soleure.
L’unité dans la diversité
«Accueillir, c’est permettre à nos frères chrétiens migrants de vivre leur foi dans de bonnes conditions», résume Gabriel Amisi, pasteur de l’Eglise protestante de Genève. Depuis trois ans, 20 % de son temps de travail est dédié à Témoigner ensemble à Genève, un mouvement qui regroupe plus de septante communautés issues de l’immigration, sur la centaine de communautés répertoriées par le Centre intercantonal des croyances (CIC). Partir à la rencontre de ces chrétiens est l’objectif premier de ce pasteur. Etablir un dialogue suppose d’identifier leurs besoins et d’œuvrer à leur intégration. «Beaucoup de migrants arrivent en Suisse avec le statut de requérant d’asile. Le rôle de l’Eglise est aussi de les aiguiller et les accompagner dans leurs démarches administratives.» Gabriel Amisi sait de quoi il parle. Il est arrivé de République démocratique du Congo avec ce même statut en 2001. «C’est grâce à l’aide des Eglises suisses que je suis là aujourd’hui. Je me suis senti accueilli. J’ai envie, à mon tour, de faire de même», confie-t-il. Dans sa démarche, «le pasteur propose, les communautés disposent». Il insiste: «Nous ne devons pas étouffer leur culture mais respecter leurs différences. Ils ont une richesse ecclésiale que nous avons perdue.» Invité dans certaines de ces communautés, le pasteur a parfois pris la parole, lors de cultes, pour échanger sur des questions théologiques de la prédication. Au stade des premières prises de contact, Gabriel Amisi observe occasionnellement des différences d’ordre pratique entre réformés suisses et protestants immigrés. «Il faut souvent rappeler qu’une salle mise à disposition doit être rendue en l’état, que le volume de la musique ne peut pas être poussé au maximum. Il faut familiariser ces communautés à notre culture, mais il faut faire de même avec nos paroissiens.»
Dans cette même optique, l’Eglise Berne-Jura-Soleure a renouvelé, en 2014, son Crédit Eglise de migrants et d’intégration, doté de 30 000 fr. Il permet de financer chaque année des projets encourageant notamment la mise en relation des Eglises de migrants et des paroisses réformées, grâce à une contribution maximale de 5 000 fr. par projet. Une aide annuelle peut être versée pour un projet de formation continue d’un dirigeant d’Eglise de migrants. Un CAS "Théologie interculturelle et migration" a été créée en collaboration avec la faculté de théologie de l’Université de Bâle et des Eglises cantonales. Misant sur le rapprochement par le dialogue, la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud (CECCV), qui regroupe une vingtaine d’Eglises, a souhaité qu’un représentant des Eglises africaines siège au Conseil de cette plateforme de débat et consultation. Sur Neuchâtel, une fois par mois depuis vingt ans, un culte entre africains et suisses est célébré au temple des Valangines, par le pasteur de l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel (EREN), Daniel Mabango, fondateur de l’association Présence Afrique chrétienne qui œuvre pour l’intégration des africains dans le canton.
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Des Eglises très convoitées
Les Eglises réformées initient le dialogue avec les communautés issues de l’immigration. Mais derrière cette envie, un paradoxe s’esquisse: pourquoi manifester un tel intérêt pour ces communautés étrangères dont la théologie s’apparente à celle des Eglises évangéliques de Suisse, dont les réformés se distancient la plupart du temps? Du côté réformé, l’hypothétique attrait pour l’exotisme est immédiatement balayé. Et les réponses restent évasives. «Il y a un impératif de solidarité dans les évangiles bibliques», lit-on dans les réflexions du Conseil synodal de l’Eglise réformée vaudoise émises en 2010 à l’attention du Synode. «L’évangélisation Nord-Sud a laissé des traces et un sentiment de responsabilité chez les Occidentaux à l’heure où les migrants arrivent à nos frontières», avance prudemment Antoine Reymond, secrétaire de la CECCV. «Nous sommes tous chrétiens, c’est notre dénominateur commun. Il ne s’agit dès lors pas de faire ’un’, mais bien d’être et de développer un ’nous’», ajoute-t-il.
Du côté des évangéliques, le discours est différent. Pour Michael Mutzner, responsable de la communication du Réseau évangélique suisse (RES), «cet attrait pour des communautés évangéliques venues de l’étranger est, pour nous, positif. Il permet à chacun de se rendre compte que notre lecture de la Bible n’est pas marginale, mais se vit ailleurs dans le monde, et de façon croissante.» Un double bénéfice pour les évangéliques qui voient également leurs Eglises grossir avec la migration. Si beaucoup de migrants intègrent directement les Eglises évangéliques suisses, de par la proximité théologique, sur les 188 Eglises membres du RES en Suisse romande, 15 % sont issues de l’immigration.