Que sait-on de Marie ?
Pour une amie en école d’art, ma petite-fille Aude Leuenberger s’est déguisée en Marie. Cela m'a inspiré quelques réflexions que je lui ai écrit et que je vous partage ici.
A Aude, déguisée en vierge Marie.
Merci pour tes deux jolies photos. Je pensais cependant qu’au XXIe siècle on présenterait Marie d’une manière plus actualisée, avec ta personne et ton visage d’aujourd’hui, dans le contexte de la société actuelle. Marie était habillée comme tous les gens de Nazareth de l’époque. Ces photos me disent aussi qu’il faut prendre garde de ne pas tomber dans le style saint sulpicien, expression inventée en 1897 par Léon Bloy pour qualifier les « bondieuseries », telles que les statuettes de saints ou les tableaux figuratifs des vitraux, au style stéréotypé, doucereux voire mièvre, et sans génie. (extrait de Wikipédia avec lequel je suis d’accord).
Petit commentaire sur Marie :
Marie a eu le privilège de donner naissance à Jésus, reçu comme Fils de Dieu selon le Nouveau Testament. Jésus fut son fils premier-né (Luc 2 :6), ce qui laisse supposer qu’elle a eu d’autres enfants ; effectivement, on le voit dans Matth. 13 :55 : les gens connaissent très bien toute la famille : La mère de Jésus, Marie, ses frères : Jacques, Joseph (ou Joses), Simon et Jude ; il a aussi plusieurs sœurs (dont les noms ne sont pas cités) (cf. aussi Marc 6 :2-3). On apprend aussi que les membres de la famille ne sont pas très d’accord avec le ministère que Jésus accomplit : il a perdu la tête ; il faut le ramener à la maison ; il est hors de sens, disent-ils (Marc 3 : 21).
Le mari de Marie, Joseph, est cité en Matth. 1 :16-24 ; 2 :13-15 ; selon Matth 13 :55 Jésus est le fils du charpentier (littéralement de l’artisan sans précision); le nom de Joseph n’y est pas cité, mais l’allusion à Joseph est claire pour les gens qui parlent. Il disparait ensuite du Nouveau Testament.
Famille génétique, famille spirituelle
Jésus, lui, a renié sa famille génétique (Matth. 12 :46-50). Ce reniement n’est pas du mépris, mais le signe d’une compréhension nouvelle qui dépasse le cadre génétique ou le clan, en vue d’une famille spirituelle, l’Eglise, la famille des croyants, des disciples.
Lors de la crucifixion, près de la croix de Jésus, se tenaient Marie sa mère et la sœur de sa mère… Jésus voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple : Voilà ta mère. Et dès ce moment, le disciple la prit chez lui (Jean 19 :25-27). Cela signifie clairement que les ponts familiaux ne sont pas coupés, qu’au pied de la croix, tout près, Marie est là ; on apprend ici que Marie avait une sœur ; le vocabulaire utilisé par Jésus pour s’adresser à sa mère est tout à fait usuel : Femme ! Ce n’est pas un signe d’éloignement affectif. On peut aussi en conclure que Joseph est mort et que Marie est veuve ; or les veuves étaient quasi exclues de la société ; c’est pourquoi, l’Eglise naissante avait mis sur pied un service d’assistance pour les veuves (Act. 6 :1). Le disciple bien aimé accomplit cette disposition d’entraide, prophétiquement, ce qui correspond bien au langage du quatrième évangile (qui doit être postérieur au livre des Actes ; donc l’évangéliste Jean peut s’y référer).
Jacques, frère de Jésus
De cette famille de Joseph et Marie, on en connait en tout cas un autre membre : Jacques, le second fils, qui va succéder à son frère Jésus après la crucifixion, la résurrection et l’ascension. Il devient le chef de l’Eglise à Jérusalem, Eglise formée alors seulement de juifs (Act 12 :17) ; Act 15 :13 met Jacques en évidence dans la communauté chrétienne de Jérusalem). Paul l’a rencontré à Jérusalem avec Simon-Pierre (appelé aussi Céphas (prononciation en hébreu du nom de l’apôtre) (Galates 1 :19). Jacques n’a pas fait partie du groupe des 12 disciples, mais il est devenu l’un des piliers de l’Eglise de Jérusalem au point que Paul tient à recevoir de lui comme de Pierre (Céphas) et Jean une sorte de consécration par le geste de la main tendue par eux à Paul et à Barnabas (Gal. 2 :7-10). La main d’association était encore un terme de la liturgie du culte de consécration dans la cathédrale de Lausanne dans la deuxième moitié du XXe s., au moment de l’agrégation de ministres venus d’une autre Eglise. Jacques est encore cité en I Cor 15 :7).
Il ne faut pas le confondre avec Jacques, fils de Zébédée (Marc 1 :19-20 ; Act 12 :2) ; ni avec Jacques, fils d’Alphée (Matth 10 :3) ; ni avec l’auteur de l’épître de Jacques (après l’épître aux Hébreux).
J’estime qu’un(e) protestant(e) doit savoir ces quelques détails tirés directement de la Bible sur Marie et sa famille.
L’Eglise catholique-romaine veut ignorer les renseignements du Nouveau Testament à ce sujet ; elle considère que la « Vierge Marie » est restée toujours vierge, refusant que Marie ait eu d’autres enfants ; pour se justifier, elle les considère comme des cousins !
Martin Luther a écrit un magnifique commentaire sur Marie, intitulé Magnificat (Œuvres, tome III).
Une Marie si vraie et si peu reconnue
Dans le journal Réformés de décembre 2019-janvier 2020, p.15-17, il y a un conte d’Alix Noble Burnand, écrit pour Noël.
Sans la nommer, ce conte raconte/invente un moment difficile pour Marie, mais aussi pour Joseph, à partir de Matthieu 1 et Luc 1. Ce conte est d’un réalisme remarquable qui peut se placer entre les lignes du texte biblique.
Matth. 1 :18-19 dit (Je raccourcis) : Marie…ayant été fiancée à Joseph se trouva enceinte… avant qu’ils aient habité ensemble. Joseph, son époux, qui était un homme de bien,… se proposa de rompre secrètement avec elle…
Luc 1 :39-40, 56 : Dans ce même temps, Marie se leva et s’en alla en hâte vers les montagnes, dans une ville de Juda ; elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth…enceinte de six mois… Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, puis elle retourna chez elle…
Voilà le contexte exact que les évangélistes nous rapportent sans s’y arrêter, ce que fait en revanche le conte, entrant ainsi dans une réalité psychologique et sociologique que Marie doit gérer de même que son fiancé. On est à Nazareth (Lc 1 :26) ; l’habitation de Zacharie et d’Elisabeth est dans les montagnes de Judée à 100 km à vol d’oiseau, ce qui fait nettement plus par les chemins, surtout si elle décide de ne pas traverser la Samarie située entre la Galilée et la Judée, puisque Juifs et Samaritains se détestent (Jn 4 :9).
Marie, une jeune fille enceinte de quelques jours, qui quitte brusquement son domicile, Nazareth, qui s’enfuit de son milieu de vie, de sa famille, de son fiancé, sans avertir personne. Elle décide d’aller passer quelque temps chez une parente éloignée. Pourquoi ? Par amour pour cette parente qu’elle n’a pas l’air de connaitre beaucoup ? Par amour du sport et de la marche ? Non ! c’est beaucoup plus personnel, plus tragique, dramatique : elle est enceinte et veut le cacher aux gens de Nazareth, qui savent bien qu’elle n’est pas mariée, qu’elle ne vit pas avec Joseph ; cette grossesse vient donc d’ailleurs. Elle est donc une garce, estime Joseph qui décide sur le champ de rompre toute relation avec cette Marie qui la déçoit profondément. Alors, elle s’enfuit pour cacher cette grossesse, dont elle a honte et qui la rend malheureuse, pour ne pas assister à la rupture d’avec celui qu’elle aime de tout son cœur, pour ne pas subir les sarcasmes et la colère des gens. Au départ, personne n’en voit rien, mais dans quelques semaines, tout le monde saura ce que vaut cette Marie qui était pourtant bien intégrée dans le village.
Elle y reste trois mois et repart juste avant l’accouchement d’Elisabeth, alors que son aide aurait pu être efficace dans le ménage de Zacharie-Elisabeth. Etonnant !
Marie et le vent de l'Esprit
Le chemin du retour est certainement moins rapide que l’aller ; l’enfant qu’elle porte lui pèse plus qu’il n’y parait ; comment faire pour arriver à Nazareth ni vu ni connu ? C’est la tempête dans son cœur (le dessin dans Réformés est éloquent : le vent souffle et l’ébouriffe, elle cherche à cacher cette grossesse de ses deux mains. Dessin moderne d’une Marie XXIe siècle, sans fioriture, réaliste jusque sur son ventre).
Et voici l’arrivée comme elle ne s’y attendait pas : il y a branle-bas dans le village. Tout le monde l’attend à cause de ce gamin (inventé dans le conte) qui a crié : Elle arrive ! je l’ai vue ! elle revient ! Qui est celle qui arrive ? qui revient ? On n’a même pas besoin de citer son nom, mais on l’attend, non pour la saluer, mais pour la tuer, pour la lapider (cf. la Loi Deut. 22 :21-22). Tous les hommes ont déjà ramassé des pierres ; on en met même dans la main de Joseph qui est au premier rang… et il fait un pas dans sa direction ; elle aussi. Il y a aussi de la tempête dans le cœur de Joseph. Or, en hébreu, le vent est le mot qui veut aussi dire Esprit, le saint Esprit. Le vent qui ébouriffe la femme sur le dessin a donc un double sens, et le vent qui souffle autour de la femme atteint Joseph qui se souvient tout à coup des rêves qu’il avait eus quelque trois mois plus tôt. Il lâche sa pierre ; enfin il se réveille de son sommeil, de son incompréhension, qui a duré trois mois ; il comprend tout à coup que cette grossesse vient effectivement non d’ailleurs, mais d’Ailleurs, du vent de l’Esprit (Matth. 1 :18 ; Luc 1 :35) ; il passe son bras autour de la taille de Marie, se retourne et traverse la foule ébahie pour rentrer avec elle chez lui, chez eux... il prit sa femme avec lui dit l’Evangile (Matth. 1 :24) qui ne s’arrête pas à tout le désarroi provoqué par cette révélation divine, inacceptable pour la raison humaine et qui est une expression de la foi chrétienne.
Je rappelle que ce n’est qu’un conte psychologique, mais un conte parfaitement adapté à la théologie du texte biblique. Il évoque un réalisme que le texte biblique passe sous silence, mais qui prend sa signification dans ces intervalles que j’ai transcrits plus haut.
Merci à Alix Noble-Burnand d’avoir écrit ce conte pour Réformés il y a un an et qui m’a fait réfléchir.
Marie, l'exclue
Et la suite ? C’est Luc 2 :1-7. ...parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.
Evidemment, c’était le temps du recensement impérial, sans qu’aucune date précise détermine le temps de cet événement.
Le texte dit : un recensement de toute la terre. Le mot grec pour dire toute la terre est le mot oikoumènè qui est devenu le mot œcuménique en français, pour désigner les rencontres entre protestants, orthodoxes et catholiques du monde entier. Le Conseil œcuménique des Eglises (COE) est à Genève. L’Eglise catholique romaine n’en fait pas partie, tout en participant à certaines rencontres. César Auguste provoque donc ce concours de populations, sans lequel Joseph et Marie n’auraient pas fait ce déplacement. César Auguste, sans le savoir, fait en sorte que Jésus naisse à Bethléhem, selon les prophéties de l’Ancien Testament. L’empereur romain agit selon la volonté de Dieu qui dirige toute la terre, l’ensemble de l’œcuménicité. En ce sens, l’empereur romain est serviteur de Dieu pour que son Fils, le Roi des rois et de Seigneur des seigneurs naisse dans la ville de David (Matth. 2 :1-6 ; Luc 2 :10-12). Il y avait donc du monde sur les routes et dans les hôtels de tout l’empire romain, pas seulement à Bethléhem.
Pas de place pour eux à l’hôtel. Le texte ne dit pas pourquoi Joseph et Marie enceinte ne trouvent pas de place pour eux. Le justifier en invoquant la foule des demandeurs de chambres d’hôtel est une raison souvent avancée par les commentateurs et elle est tout à fait plausible. Les demandeurs de chambres dépassent le nombre de chambres. Mais le texte dit : Pas de place pour eux, pour eux particulièrement ; pour les autres il devait y avoir encore une place dans les hôtels, mais pas pour eux. Pourquoi ? A la réception de l’hôtel, les réceptionnistes remarquent immédiatement deux choses.
1°) Ce couple est vêtu très modestement ; seront-ils solvables ? Vu leur modeste habillement, ne vont-ils pas détonner dans la salle à manger, alors que les hôtes de l’hôtel sont plus richement vêtus ? Non, on ne prend pas des gens pauvres dans l’hôtel et on leur répond : C’est complet, pas de place pour vous. Si l’hôtel eût été réellement complet, ils auraient dit : plus de place. Dire pas de place, c’est dire qu’on refuse de les recevoir, eux, alors que les voyageurs suivants y trouveront encore de la place.
2°) Marie est enceinte, sa grossesse parait même très avancée. Les réceptionnistes craignent que l’accouchement se produise durant leur séjour à l’hôtel ; alors quel désagrément pour les autres clients, pour le personnel ! Que deviendra la chambre louée à une parturiente ? Que de problèmes pour les employés qui préfèrent déclarer : pas de place pour vous dans l’hôtel. Autant se priver d’une location que d’avoir ensuite tous ces ennuis. Marie, Joseph, le futur nouveau-né : exclus de la société.
En écrivant son évangile, Luc veut montrer que le rejet du Christ date d’avant sa naissance à Bethléhem, que sa naissance advient au milieu de l’obscurité du monde, du monde romain (César Auguste), du monde juif (l’hôtelier), et il montrera aux versets suivants que les non-humains, bergers sans origine et qui ne font pas partie du décompte impérial, seront les seuls à trouver le chemin, éclairés par la lumière qui resplendit autour d’eux (et que personne d’autre ne remarque), et à découvrir le Sauveur qui est le Christ, le Seigneur (v. 8 ss).
La Vierge Marie (Matth. 1 :23a).
C’est une prophétie d’Esaïe 7 :14 qui proclame la naissance d’un enfant royal : Voici, la jeune femme [deviendra] enceinte, elle enfantera un fils et lui donnera un nom : Emmanuel (mot qui signifie Dieu avec nous). Dans la langue originale de l’Ancien Testament, l’hébreu, la jeune femme signifie la femme mariée, qui va donner au royaume de Juda, plein de terreur à cause de la guerre, un enfant, signe d’espérance et de confiance, puisque le nom de cet enfant sera Dieu avec nous, ce dont les Judéens doutaient fort, puisque la défaite militaire semblait imminente. Ce texte prophétique est plein d’encouragement et de vigueur ; son signe visible, dérisoire, sera un bébé portant un nom extra-ordinaire, garantie de la présence de Dieu au milieu de son peuple et lui donnant la victoire.
La première traduction grecque de ce texte, nommée la Septante, a mal traduit le mot la jeune femme en l’interprétant par la vierge. Les auteurs du Nouveau Testament, écrivant en grec, ont recopié simplement et tout normalement la traduction grecque de l’Ancien Testament qu’ils avaient à disposition, si bien que la jeune femme a disparu au profit de la vierge dans nos Bibles. La dernière version protestante, la version synodale, a traduit Es 7 :14 par la Jeune fille, afin d’éviter le mot vierge.
A partir de là, la théologie de l’Eglise catholique romaine a construit toute une dogmatique sur la vierge Marie, toujours vierge, et qu’il faut prier, ce qui est plus facile que de s’adresser directement à Dieu (raisonnement que j’ai souvent entendu à Fribourg). La sainte Vierge, mère de Dieu revient aussi souvent dans la doctrine romaine ; mais Marie n’accouche pas Dieu ; elle donne naissance à un enfant, Jésus, qui sera appelé Fils de Dieu. Jésus est un homme très humain, et en même temps Dieu, œuvre du Saint Esprit. C’est cette double nature que l’ange Gabriel explique à Marie (Luc 1 :31-35).
La sainte Vierge retrouve de la vigueur au prix d’une déformation du texte hébreu original, déformation due à la Septante. Il est temps de repenser la Réformation.
Quand nous préparerons les décorations de Noël, pensons à la simplicité de l’événement suffisamment miraculeux selon l’Evangile, sans avoir besoin d’hypertrophier le vocabulaire et les personnages.