Ils parlent de leurs espaces de silence, et les vôtres ?

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Ils parlent de leurs espaces de silence, et les vôtres ?

Par admin
14 décembre 2020
Expérience déstabilisante par excellence, le silence s’est immiscé dans le confinement de nombreuses personnes. Mêlé de solitude, il peut devenir une épreuve harassante. Ouvert à la présence de Dieu, il prend d'autres couleurs, parfois inoubliables. Et vous, quelle est votre expérience du silence? Témoignages et GPS, rassemblés et élaboré par Estelle Pastoris

Il existe presque autant de facettes du silence qu’il y a d’êtres humains sur terre, que ce soit une expérience négative ou positive. Souffrance, solitude, isolement, manque de contacts sociaux, tels sont les aspects négatifs du silence, des aspects qui ont beaucoup marqué les semi-confinements de beaucoup. Cependant, le silence a aussi des côtés positifs. Démarche personnelle ou quête spirituelle, il est aussi écoute de l’autre, une attitude de disponibilité ou encore une recherche de paix intérieure. Dans la tradition chrétienne, le silence est souvent associé à l’écoute de Dieu, à la contemplation de son œuvre, à la prière ou à la réflexion. Un GPS a été créé sur la base de ces quatre dimensions: un outil informatique qui permet de se situer par rapport à la question.

 

Afin d’accompagner le GPS, nous sommes partis à la rencontre de plusieurs personnes qui ont vécu des expériences particulières de silence et qui ont accepté de donner un témoignage. Des expériences qui illustrent l’aridité du silence, mais aussi sa richesse.

 

L’épreuve du silence

Associé à la solitude ou à l’absence de liens sociaux, le silence est vécu comme une expérience éprouvante. Ainsi, pour Corinne Thüler, animatrice jeunesse dans la paroisse catholique de Bienne, le silence du confinement était «vide» et «creux». «Ce silence était froid, parce que je n’avais pas la force d’y mettre quelque chose», confie-t-elle. Pour Eloïse Wenger, ancienne étudiante de l’université de Lausanne, le premier confinement a été particulièrement difficile pour son absence de musique: «Étant musicienne et chantant dans un chœur, le fait de devoir réduire ces activités m’a fait beaucoup de peine et je me suis souvent sentie très seule. De plus, je ne voyais plus mes amis et nous ne discutions que par messages. Je n’avais pas envie de silence, j’avais besoin de musique et de vie.» Or que se cache-t-il derrière cette sensation de «vide»? Pourquoi le silence est-il vécu comme un manque, si difficile à vivre?

 

Se retrouver face à soi-même

Suite à une mission humanitaire Birmanie, le pasteur bernois Thierry Dominicé passe deux ans dans la Communauté des Diaconesses de Reuilly, entre 2005 et 2007. Le but: essayer de se retrouver face à soi-même et face à Dieu. «Le défi était pour moi le silence intérieur. Se retrouver seul dans un environnement où on doit faire silence, forcément, ça fait remonter des choses difficiles», explique-t-il. En comparant le semi-confinement à son séjour monastique, il souligne que les deux expériences présentent une difficulté commune: celle d’être cloîtré. «On peut allumer la télévision ou la radio, mais on se retrouve toujours face à soi-même.» Eloïse Wenger confirme: «Tous les moyens sont bons pour créer une présence: mettre de la musique ou bien allumer la télévision. Ce besoin d’étouffer le silence souligne notre peur de nous retrouver seul face à nous même.»  

Pasteure retraitée de l’EERV, Françoise Subilia a exercé un ministère d’écoute et d’accompagnement spirituel au Chat Perché à Begnins. Elle voit le silence comme un nuage de sable, ou plutôt comme un soulèvement de pensées. «Quand on est dans le silence, c’est comme quand on marche au bord de l'eau: cela soulève du sable et cela fait des nuages. Un peu à la manière du courant de la vie quand on s'agite. Et c'est lorsque tout s'arrête qu'intervient le silence. Le sable retombe, tout se décante. Certaines personnes n’aiment pas du tout quand tout se décante. Les pensées qui ressortent peuvent faire peur. Le silence permet d’écouter les choses qu’il y a à l’intérieur de nous, qui constituent notre matériau de vie, ce que nous sommes.»

 

Le double visage du silence

Désagréable par bien des côtés, le silence cache cependant un second visage: celui de la sérénité. Confrontée à l’aridité du silence lors de la première vague de covid-19, Eloïse Wenger le redécouvre en automne 2020. Partie au Royaume-Uni pour y enseigner, la jeune étudiante se retrouve d’abord confrontée à deux semaines d’auto-isolation, puis à la seconde vague en novembre. «J’ai atterri dans un petit village dans lequel même les maisons pratiquaient la distanciation sociale: un endroit dans lequel le silence n’était plus un ennemi mais au contraire un ami», raconte-t-elle. «Environnée par la nature, j’ai peu à peu appris à apprécier le silence. Une des choses que j’aimais le plus était d’aller rendre visite au chêne, seulement deux minutes de chez moi, où régnait un calme qui permettait de me ressourcer.»

Anne Fauche, retraitée, a une expérience de méditation acquise au sein de l’Église protestante de Genève et lors de retraites en monastère. Lors des temps de silence, elle observe qu'il lui faut parfois passer par un état émotionnel pour accéder à un état plus spirituel. «Souvent, quand je m’installe dans un silence, il y a d’abord les larmes qui viennent. Ce ne sont pas des larmes fixées sur un malheur particulier, c’est une émotion tout court. Quand tout s’écoule, ça laisse une place pour autre chose. Puis, peu à peu, le brouillard se dissipe. On a l’impression d’être dans un monde qui est cadré, de faire pleinement partie de ce monde qui est le nôtre. Et la joie survient, on est porté par une Présence qui restaure et bénit ».

 

Un «silence habité»

Une expression récurrente chez les personnes qui ont vécu une expérience intense de silence lors d’une retraite monastique, d’une méditation ou d’une prière est celle du «silence habité». Mais un silence habité par qui? Un silence habité par quoi? Corinne Thüler raconte ainsi sa première retraite silencieuse à l’Abbaye de Hauterive: «Je suis partie de chez moi avec la peur au ventre. Dans ma tête, le silence, cela voulait dire être triste, cela voulait dire être seule. Au contraire, quand je suis arrivée à l’abbaye, j’ai tout de suite ressenti un calme et une plénitude. C’était un silence habité par un-je-ne-sais pas quoi.» Elle ajoute encore: «Peut-être que, ce qui habitait le silence, c’était ce qui se passait dans le monastère: les prières, le fait de pouvoir se concentrer sur une seule parole à la fois, le fait de pouvoir être conscient de ce qu’on faisait. Je commençais vraiment à être attentive au moment présent et à m’ouvrir aux autres autour de moi.»

Denise Mützenberg, fondatrice des éditions Samizdat, écrivain et poète, apprécie le silence d’une manière toute particulière: «J’aime le silence comme on aime le pain. J’aime le silence parce que je l’identifie à la paix, à un rassemblement de mon être quand je suis tentée de me disperser. Dans le silence, je peux reprendre contact avec ma vie, avec ce que je suis, avec mes profondeurs et mes pensées.» Pour elle, le silence est habité à la fois par les personnes qui l’entourent et par la parole de Dieu. Elle témoigne: «La dernière fois que je suis allée dans la communauté de Grandchamp, chaque visage muet parlait, criait parfois. Le silence est une sorte de vide, un entonnoir dans lequel tout s’engouffre. Il permet une invasion de voix, des voix négatives, mais aussi des paroles bienveillantes, par exemple un psaume appris par cœur. Dieu nous parle dans le silence, et il nous parle avec une parole

À Begnins, Françoise Subilia partage un même amour du silence. Veuve depuis 27 ans, elle n’éprouve pas le besoin d’allumer la télévision ou la radio en rentrant chez elle, car le silence lui permet d’approfondir sa relation à Dieu: «Je ne saurais pas comment décrire cette rencontre. C’est amical, c’est paisible, c’est chaleureux. C’est un peu: ''Ah, tiens, tu es là, salut''. Des fois, cela devient une vraie discussion: ''Je ne comprends pas pourquoi cela se passe comme ça. Qu’est-ce que je devrais faire?'' Il n’y a rien qui est obligé dans cette rencontre, ni la présence de Dieu, ni la mienne.»

Et vous, comment est habité votre silence? Le silence vous permet-il d’approfondir votre relation à aux autres, à vous-mêmes ou à Dieu? Un moyen de vous situer sur la question en quelques clics : Mes espaces de silence

Estelle Pastoris

 

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