Églises et politique

Quelle est la responsabilité de l’Église en politique? / Stock
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Quelle est la responsabilité de l’Église en politique?
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Églises et politique

Par Jean-Fr. Ramelet
23 novembre 2020

« Les Églises (catholiques et protestantes) ne devraient pas se mêler de politique » ; la remarque réapparaît périodiquement sur le devant de la scène. Elle a été réactivée par la récente campagne sur l’initiative « Entreprises responsables ».

La foi chrétienne se fonde sur un événement historique : la vie et la mort de Jésus de Nazareth. La manière qu’a eue Jésus de vivre, de se rapporter aux autres, de se tenir devant Celui qu’il appelait son Père ; sa manière de prendre en compte les questions et les souffrances de ses contemporains, comme leurs problèmes quotidiens (impôts, héritage, sexualité …) ont été perçues et reçues comme étant l’incarnation de la volonté de Dieu pour le monde et les hommes. Jésus est reçu dans la foi chrétienne comme étant en quelque sorte la prière que Dieu nous adresse et que le chrétien a vocation d’exaucer.

Attention, ne nous y trompons pas, Jésus ne propose pas de règles éthiques, des normes religieuses, mais il pose un principe indépassable : « la dignité de chaque être humain » quelle que soit son genre, son appartenance ethnique, sa religion, sa classe sociale, son état de santé (…). La parabole bien connue du Bon Samaritain est emblématique de cette attention suprême. Jésus raconte l’histoire d’un homme qui vient de Samarie, autrement dit d’un mécréant aux yeux des religieux de son temps et qui contre toute attente se penche vers l’homme meurtri qui gît au bord du chemin. Le lointain (l’étranger, le mal croyant) de passage prend le blessé en charge et devient son prochain. L’attention à l’autre devient ainsi un principe universel qui peut guider la vie et le comportement de tout être humain.

« La dignité de chaque être humain » est un principe qui n’est pas négociable et la mission des Églises est de le rappeler à temps et à contre temps, car elles croient que l’homme joue là sa vocation, comme il joue aussi sa vocation dans son rapport à l’argent, au pouvoir, à la nature, à son environnement. De là à en conclure que les Églises – en tant qu’institution - sont légitimées à donner des consignes de vote, il y a un pas que je ne saurais franchir.

A mon sens, la responsabilité de l’Église en politique – telle que je la comprends - n’est pas de dire comment il faut voter, mais bien plus d’équiper le chrétien de telle manière qu’il puisse développer son esprit critique, son discernement pour exercer ses droits et devoirs de citoyens au plus près de ses convictions et de sa conscience. Il est crucial que les Églises prêtent une attention aux nombreuses questions qui traversent le monde aujourd’hui et qu’elles participent aux dialogues et aux débats de société, par exemple en organisant des disputes, comme jadis. Mais elles doivent le faire avec la posture de ceux qui savent qu’ils ne détiennent pas la vérité.

Parce que les chrétiens sont appelés à être pleinement « dans le monde, sans être du monde » (Jean 17), les Églises devraient les encourager - beaucoup plus qu’elles ne le font actuellement - à non seulement voter, mais plus encore à s’engager en politique (y compris les ministres), à exprimer publiquement leur conviction, à militer au nom de leur foi dans le parti qu’ils estimeront le mieux à même de servir l’éthique évangélique qui leur sert de cap dans la vie.

Le chrétien s’y engagera toutefois avec ce recul qui lui permettra de distinguer l’appartenance de l’allégeance, l’absolu du relatif et de s’affranchir aussi souvent qu’il le juge nécessaire de tout mot d’ordre qui irait à l’encontre de sa foi et de sa conscience, quitte à être perçu par ces coreligionnaires comme un incorrigible franc-tireur.

Lorsque les Églises donnent des mots d’ordre ou lorsqu’elles prennent des positions partisanes dans des scrutins électoraux pour soutenir un parti ou des politiciens qu’elles estimeraient défendre leurs intérêts, elles ne font que contribuer à « l’archipélisation » en cours de notre monde et sombrent parfois dans la diabolisation et la condamnation de l’autre qui ne pense pas comme elles. Nous en avons été témoins très récemment en Pologne où l’Église Catholique Romaine a soutenu une loi criminalisant l’avortement ou encore aux États-Unis, où une coalition d’Églises (évangéliques et charismatiques, mais aussi catholiques traditionalistes et intégristes) a appelé à voter pour Donald Trump, n’hésitant pas à qualifier ceux qui ne le feraient pas de suppôt de Satan. Dire que le spectacle que ces Églises nous ont offert était affligeant relève de l’euphémisme.

Je me réjouis que des chrétiens puissent avoir des avis différents et les expriment et les défendent publiquement, mais je crains comme la peste que les Églises deviennent des cercles et des clubs d’hommes et de femmes qu’une pensée unique rassure. Je refuse que mon Église me dicte ce que je dois croire, alors pour ce qui est de voter !