La Bible se lit à l'infini
«Ce n’est peut-être pas tout à fait une oeuvre d’art, mais l’oeuvre qui compte dans ma vie, c’est la Bible. Je lui ai consacré de nombreuses années. Je l’ai parcourue très tôt, du fait de ma culture religieuse – ma mère est issue d’une famille catholique très croyante – mais également en raison de mes études de lettres. Après avoir lu Dostoïevski, Shakespeare et Victor Hugo, on s’intéresse forcément aussi à la Bible. Il y a toujours quelque chose à relire», explique Frédéric Boyer. L’écrivain a «appris» la Bible avec la traduction liturgique catholique, mais également en s’intéressant à d’autres traductions françaises. Il précise d’ailleurs avoir chez lui «à peu près toutes les traductions françaises « ’aime beaucoup celle de Sébastien Castellion qui date du XVIe siècle. Elle est intéressante, car c’est l’une des premières en français, écrite par un homme qui disait qu’il fallait faire entendre la Bible aux simples et aux idiots. Ce qui signifiait, à l’époque, tous ceux qui ne parlaient pas les langues érudites – latin, grec et hébreu – mais un français vernaculaire, c’est-à-dire populaire. Ce français qui n’était pas encore reconnu comme une langue savante, ni même une langue officielle.
La Bible a largement contribué à la langue française telle qu’on la parle encore aujourd’hui. «L’histoire de ses traductions, c’est souvent aussi l’histoire de langues. Le français contemporain s’est notamment constitué avec les diverses traductions de la Bible en français. L’anglais de Shakespeare vient de la King James, la traduction effectuée à la demande du roi Jacques Ier d’Angleterre. Quant à celle de Luther, elle a été fondamentale dans l’histoire de la langue allemande», rappelle Frédéric Boyer.
Langue originale
L’écrivain «revient » toujours aux Bibles éditées à Stuttgart; c’est-à-dire aux éditions critiques des textes dans les langues de références, l’hébreu et le grec. «J’ai une petite manie… Dès que je m’intéresse à un texte, j’essaie de le lire dans la langue originale, de chercher ce qui se passe autour. C’est ainsi que j’ai appris l’hébreu et c’est aussi pour cela que j’ai fait des études d’exégèse, en plus de mes études de lettres. Cela ne m’a plus quitté», explique le Français. C’est donc tout naturellement qu’en 2001, il lance une nouvelle traduction de la Bible aux éditions Bayard, où il est directeur éditorial. Ce «chantier énorme, tellement fou et qui marque toute une vie» lui a pris sept ans. Pour ce faire, il a associé vingt-sept exégètes – en hébreu, grec, araméen, etc. – avec vingt écrivains, poètes et romanciers contemporains francophones: «Cette littérature, parce que pour moi, fondamentalement, la Bible, au départ, c’est des littératures, est traduite dans les langues françaises d’aujourd’hui. On n’écrit plus comme au XVIe siècle, à l’occasion des premières traductions de la Bible en français, ou même au XIVe.» Après la publication retentissante de cette Bible dite des écrivains Frédéric Boyer a lui-même rédigé des textes et des essais autour de la Bible et de la littérature biblique. Avant de s’attaquer à un nouveau projet ambitieux: raconter les grands récits bibliques.
Récits fondateurs revisités
«Quand vous dites que vous travaillez sur la Bible, une fois sur deux vous passez immédiatement pour une vieille punaise de sacristie, surtout en France. Moi, cela m’amuse toujours de faire découvrir, au contraire, la richesse culturelle et littéraire de ces textes. Ces récits peuvent nous parler encore aujourd’hui», déclare Frédéric Boyer.
Dans Bible. Les récits fondateurs, dont l’exposition présentée actuellement au Musée international de la Réforme (MIR) est tirée (voir texte ci-dessous), les grands récits bibliques sont réinterprétés et reracontés pour que le lecteur se les réapproprie. Les illustrations de Serge Bloch rendent notamment compte de l’interrogation contemporaine que l’on porte sur ces textes.
Bio express
Frédéric Boyer (58 ans) est un écrivain, traducteur et éditeur français. Après avoir enseigné la littérature comparée aux universités de Lyon et de Paris et avoir été professeur à la prison de la Santé, il a longtemps occupé la fonction de directeur éditorial aux éditions Bayard. A ce titre, il a coordonné la parution de la Bible dite des écrivains. Cette traduction biblique avait été imprimée artisanalement au MIR en 2017 par la reproduction de la presse de Gutenberg lors de l’exposition PRINT!.
Depuis 2018, Frédéric Boyer dirige les prestigieuses éditions P.O.L. Il est, par ailleurs, l’auteur d’une trentaine d’ouvrages: romans, essais, poèmes et traductions d’oeuvres de Shakespeare notamment. Son roman Des choses idiotes et douces a reçu le prix du Livre inter et sa nouvelle traduction des Confessions de saint Augustin (Les Aveux) le prix Jules Janin de l’Académie française.
Eve, Noé, Moïse et beaucoup d’autres
Quinze histoires fantastiques de la Bible prennent vie au MIR dans le cadre de l’exposition Il était plusieurs fois, présentée jusqu’au 19 mai (du mardi au dimanche, de 10h à 17h).
Au tout dernier étage de la tour de Babel, embarqué sur l’arche de Noé ou dans le ventre du poisson avec Jonas, le visiteur est immergé au coeur d’un univers vivant et coloré par deux virtuoses du texte et de l’image. L’artiste Serge Bloch – illustrateur de la série Max et Lili (ndlr: vous pouvez relire notre rencontre sur la dernière de couverture du numéro d’avril) – et l’écrivain Frédéric Boyer recréent pour un public de tous horizons et de tous âges le monde poétique des récits fondateurs de l’Ancien Testament.
Des écrans se succèdent d’une salle à l’autre, mis en valeur par des fresques, dessins et textes à la fois esthétiques et pédagogiques. L’acteur français André Dussolier prête sa voix aux onze films de l’exposition, imaginée d’après le livre Bible. Les récits fondateurs (éditions Bayard) écrit par Frédéric Boyer et illustré par Serge Bloch.