Hate speech, nous sommes tous concernés
Nous allons à grands pas vers Vendredi saint. Ce qui frappe dans le procès de Jésus c’est la venue au grand jour de discours haineux, qui étaient jusque là le fait d’une petite minorité complotiste. La foule se laisse entraîner : à mort, « crucifie-le » s’exclame-t-elle à l’attention de Pilate. Quelques heures avant, cette même foule acclamait le Jésus, entrant à Jérusalem. Et le gouverneur romain de conclure par ces mots célèbres : « Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le ; quant à moi je ne trouve pas de chef d’accusation contre lui ». On serait tenté de voir dans ce récit un processus exceptionnel. Il n’en est rien. Les « hate speech », les discours haineux n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour trouver un canal d’expression.
"la modération : la condition d’un vivre ensemble dans la diversité".
Si les réseaux sociaux existaient au temps de Jésus, ce dernier aurait été lynché verbalement avant même le procès devant Pilate. Ils constituent une formidable et terrible plateforme d’observation du potentiel de haine devant une altérité par trop dérangeante. Les courriers de lecteurs sont aussi des espaces d’alerte. Mais un cran en dessous, grâce à la modération éditoriale des rédactions. Cette modération est une glissière de sécurité que nos démocraties doivent chérir, pour éviter de devoir construire des murs qui seront à terme des murs de séparation. Cette modération est la condition d’un vivre ensemble dans la diversité. Pourtant elle n’est pas un acquis.
S’exprimant lors d’un séminaire de la WACC (Association mondiale de la communication chrétienne, dont Médias-pro est membre depuis des années) la semaine passée, l’évêque luthérienne de Stockholm a raconté comment les « hate speech » se sont glissées petit à petit dans son quotidien, jusqu’à faire d’elle une personnalité à protéger. Ce qui peut paraître impensable dans ce pays au sang froid. Eva Brunne a évoqué les réactions de haine qu’a provoquée son autorisation de prêter des églises luthériennes à des communautés non chrétiennes, avec pour seule condition que les croix ne soient pas ôtées et que les participants orientent la réunion dans une autre direction que la table de communion. C’en était trop pour une frange de Suédois, gagnés aux discours populistes.
Au fond ce que nous apprend le témoignage de cette femme évêque courageuse, comme aussi la narration des derniers jours de la vie de Jésus, c’est que l’essentiel se joue avant la crise, avant les effets de foule, les crispations. Quand le dialogue est encore possible, quand les médiations sont effectives. C’est-à-dire maintenant.