2306 heures de culte ininterrompu

Le Binnenhof à La Haye / CC0 Pixabay
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Le Binnenhof à La Haye
CC0 Pixabay

2306 heures de culte ininterrompu

Par Hubert van Beek
4 février 2019

Dans nos obscurités, allume le feu qui ne s’éteint jamais…. Hayarpi, la fille aînée de la famille Tamrazyan n’oubliera pas de si tôt ce chant de Taizé, maintes fois chanté. Ce sont ces mots, quand elle a enfin pu parler librement, après trois mois d’attente.

Le 30 janvier a pris fin le culte ininterrompu dans l’église protestante Bethel, à La Haye, pour protéger une famille de demandeurs d’asile menacée d’expulsion. Aux Pays-Bas la police ne peut pas intervenir à l’intérieur d’un bâtiment religieux pendant la célébration d’un office religieux. Quand le 26 octobre 2016 la paroisse de l’Église Bethel a offert d’héberger dans le temple la famille arménienne Tamrazyan, les responsables avaient donc décidé de prolonger le culte de ce soir-là avec une deuxième célébration, et ensuite une troisième, et ainsi de suite, sans interruption, jour et nuit.
En tout, 2306 heures de culte, avec près de mille célébrants venant de tout le pays et de l’étranger, des dizaines de bénévoles assurant l’intendance, et des centaines de personnes remplissant les bancs de l’église. Pendant tout ce temps, la famille Tamrazyan est restée confinée à l’intérieur du bâtiment, dans des locaux à l’étage au-dessus du lieu de culte.
Cet exemple extraordinaire d’asile d’église («kerkasiel» en néerlandais) a trouvé une conclusion heureuse grâce à un accord politique conclu entre les quatre partis qui constituent la coalition gouvernementale au pouvoir aux Pays-Bas en ce moment. L’accord prévoit que les dossiers d’environ 700 familles de demandeurs d’asile, toutes avec des enfants scolarisés depuis au moins 5 ans, seront réétudiés. Ces familles, dont faisait partie la famille Tamrazyan (trois enfants), étaient toutes menacées d’être expulsées, en vertu d’un accord précédent entre ces mêmes partis. Au moment de former leur coalition, ces partis avaient convenu qu’il n’y aurait pas de «pardon pour les enfants» («kinderpardon» en néerlandais). Cette expression voulait dire que malgré le fait qu’il s’agit d’enfants totalement intégrés, parlant parfaitement le néerlandais, scolarisés depuis de nombreuses années, les parents et avec eux les enfants seraient expulsés. Dans l’opinion publique, ce refus de prendre en considération la situation des enfants était de plus en plus critiqué. Les dirigeants politiques se sont rendu compte que leurs bases ne suivaient plus. Ils avaient intérêt à faire marche arrière. Ainsi, ce n’est pas seulement une famille, mais plusieurs centaines pour qui 2306 heures de culte ont allumé un feu qui éclaircit l’obscurité de leur avenir …
La réévaluation des dossiers prendra des mois. Cependant, les responsables du service d’immigration s’attendent à ce que 80 à 90% des cas reçoivent une décision favorable. Comme tout accord politique, celui sur le pardon pour les enfants a malheureusement aussi une clause négative. Pour convaincre le parti des libéraux (la droite), les trois autres ont dû accepter que le nombre annuel de réfugiés sélectionnés dans les camps au Moyen-Orient soit réduit de 750 à 500.

De passage dans mon pays natal au moment du dénouement, j’ai pu parler avec l’un des célébrants, ami de longue date. Ancien secrétaire général de l’Église protestante aux Pays-Bas dont l’église Bethel fait partie, il m’a expliqué que la paroisse avait eu le soutien entier du Bureau synodal. Il n’y a pas de doute que l’action a pesé dans les délibérations politiques. Par la publicité qu’elle a reçue dans les médias, mais aussi par l’efficacité de relations personnelles et l’engagement des dirigeants de l’Église. Ces derniers sont déterminés à poursuivre leur action pour une politique d’asile plus humaine et qui respecte les droits humains.