La rencontre est le premier pas vers l’unité chrétienne
En quoi consiste votre ministère au sein de l’Église protestante de Genève?
J’apporte le témoignage de foi d’un pasteur du Sud, dans une vision de partage des expériences entre les Eglises du Nord et du Sud. Mon mandat consiste à mener, à partir d’un regard externe, des réflexions théologiques et ecclésiologiques sur la vie de l’Eglise et à tisser des liens entre les communautés chrétiennes issues de l’immigration et les Eglises historiques, dans la région du Salève, où j’exerce mon ministère depuis septembre dernier. En tant qu’envoyé de la Cevaa, une communauté d’Eglises protestantes en mission, je travaille au sein de l’Eglise protestante de Genève (EPG) à 80% et à la Conférence des Eglises de Suisse romande (CER) à 20% pour un mandat de deux ans, renouvelables, sous la direction du département missionnaire des Eglises réformées romandes DM-échange et mission.
Vous êtes arrivé en Suisse il y a un an, qu’avez-vous déjà pu mettre en place?
La première année sur le sol suisse a surtout été une période d’acclimatation. J’ai pu me rendre compte des différentes réalités des Eglises de Suisse romande et aussi m’imprégner de l’expérience de Témoigner ensemble à Genève (TEAG), qui œuvre à tisser des liens avec les communautés chrétiennes issues de l’immigration. Je suis également en contact avec le Rassemblement des Eglises Chrétiennes de Genève (RECG) qui agit pour l’œcuménisme.
Seul un pasteur venu d’Afrique peut remplir un tel mandat?
Si un blanc s’intéresse aux communautés chrétiennes issues de l’immigration, les fidèles vont trouver cela est ambigu et s’interroger sur la fin recherchée. Sachant que je suis pasteur dans une Eglise en Afrique, ils sont plus rapidement en confiance. Inversément, je suis souvent vu par les Suisses comme un pasteur «exotique». J’ai donc dû faire mes preuves pour acquérir leur confiance et peut-être aussi casser l’idée qu’ont certains selon laquelle l’étranger est synonyme d’invasion.
Comment tisser des liens entre les communautés chrétiennes de Suisse et issues de l’immigration?
Aujourd’hui, le lien est purement financier. L’EPG loue ses locaux aux communautés issues de l’immigration. La réalité, c’est qu’on ne se connaît pas. L’objectif est que chacune participe à la vie du lieu de culte et que la foi chrétienne commune puisse être partagée. Mais pour qu’un partage ait lieu, il faut se rencontrer. Et il faut se préparer à cette rencontre, pour éviter les chocs.
Je travaille actuellement à la création d’une brochure pour célébrer ensemble qui devrait voir le jour à la fin du mois de juin. Comme une boîte à outils, il s’agira d’y présenter quelques codes culturels, liés à la pratique de la foi. Je compte donc faire passer des questionnaires dans chaque communauté qui serviront de base pour son élaboration.
Quelles sont ces différences saillantes?
Après un an passé en Suisse romande, je constate qu’ici, les chrétiens ont une foi plus intériorisée que chez moi au Togo, et même en Afrique. Dans les pays du Sud, la plupart des Eglises s’inscrivent dans une tendance plutôt évangélique. Nous sommes face à une foi et à une lecture de la Bible moins intellectuelle. La foi sert encore de guide dans la vie des gens. À l’inverse, en Suisse, les chrétiens sont placés devant à leurs responsabilités. Le pasteur et son sermon ne sont pas appelés à influencer les choix de la personne, mais interrogent. Et puis, en Afrique par exemple, les conditions de vie sont bien souvent précaires, alors on se réfugie dans la foi.
Dans la région du Salève, il y a cinq paroisses protestantes et quatre communautés chrétiennes issues de l’immigration, constituées essentiellement de chrétiens venus d’Afrique. J’observe plusieurs tendances. Du côté des communautés issues de l’immigration, certains souhaitent une plus grande collaboration avec les Eglises historiques, d’autres pensent amener un Evangile vivant. Quant aux Suisses, une partie d’entre eux voient dans ces communautés la pratique d’un christianisme vieux de plusieurs décennies. Le problème, c’est qu’on ne se connaît ni au niveau théologique, ni au niveau ecclésiastique.
Avec de telles différences, l’unité chrétienne n’est-elle pas une utopie?
Non, l’unité c’est comment faire ensemble l’Eglise, comment porter le témoignage du Christ, sans tout mélanger. Chaque Eglise a son charisme, mais elle ne les possède pas tous. Les partager sur le terrain du Christ est donc nourrissant. Comme il est nourrissant de pouvoir évoluer et s’épanouir au sein de sa propre Eglise.
Il s’agit de reconnaître l’autre, ses différences, ses particularités, pour qu’au-delà de nos diversité, l’Evangile soit partagé. Que ceux qui pratiquent le baptême par immersion reconnaissent ceux qui pratiquent le baptême pas aspersion et inversement. Pour moi, ce qui nous lie, le Christ, est plus grand que ce qui crée notre diversité, soit nos doctrines. C’est d’ailleurs un souhait que Jésus émet lui-même vers la fin de sa vie terrestre et qu’on retrouve dans la Bible (Jn 17, 20-22). Les chrétiens forment un seul corps et chacun y tient son rôle: l’œil n’est pas le pied. Et si l’œil se glorifie, il faut lui montrer qu’un aveugle peut aussi être heureux. C’est justement pour cette raison que j’ai accepté de participer à la célébration œcuménique organisée par le RECG, mercedi 23 janvier au Centre oecuménique des des Eglises à Genève.