Un concept qui a évolué au fil des siècles
«Il y a deux périodes: avant et après l’exil babylonien du VIe siècle avant Jésus-Christ», estime Innocent Himbaza, professeur d’Ancien Testament et d’hébreu à l’Université de Fribourg. «Les récits sur les patriarches, montrent que leur espérance est d’avoir beaucoup d’enfants et de vivre longtemps», explique-t-il. Les textes les plus anciens ne font pas de l’espérance un sujet: «Dans le désert, il n’est pas question d’espérance. Le peuple d’Israël vit une expérience avec Dieu. Il apprend à lui faire confiance.»
Une espérance pour la nation
Mais l’épreuve que représente l’exil amène le peuple à poser la question de la justice. «Israël a perdu son roi et c’est là que la réflexion quant à l’avenir de la nation se pose. Le motif de l’espérance porte donc, dans un premier temps, sur un plan collectif, sur le rétablissement de la nation. Au niveau individuel, certains estiment encore que lorsque l’on est un juste, on vit longtemps», explique le chercheur.
Mais des livres plus tardifs comme la seconde partie d’Ésaïe, Jérémie, Job que l’on date de l’époque perse, Qohéleth qui est encore plus tardif ou Daniel qui a probablement été rédigé à l’époque hellénistique, montrent des justes malmenés et des personnages méchants qui prospèrent. «C’est dans ces livres que l’on voit apparaître la thématique d’un rétablissement de la justice même après la mort», explique Innocent Himbaza. . « Dans le livre de Daniel, il est question d’un nouveau règne. Un motif que l’Apocalypse va d’ailleurs reprendre. On trouve aussi des signes d’espérance d’un retour de grands personnages de l’histoire. »
Rétablissement de la justice
La vie éternelle est liée à l’idée que Dieu apportera son secours au juste et que le méchant sera puni, constate le théologien. «Le Shéol qui apparaît dans des textes plus anciens, peut-être influencé par Babylone, n’est qu’un lieu où se reposent les ancêtres. Cela ne devient un lieu de tourment que tardivement.»
«On assiste au Ier siècle à une efflorescence de l’espérance (messianico-)royale dans le peuple juif. En un mot: la conviction que Dieu viendra rétablir son règne sur Israël et le créé, en accomplissement des promesses prophétiques et en désaveu des logiques d’occupation de la terre d’Israël», note Simon Butticaz, professeur de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne. «La nature et la forme de l’espérance juive au tournant de notre ère n’a rien d’un monolithe; elle pouvait fortement varier d’un courant à l’autre de la population. La présence romaine en Judée n’était pas, pense-t-on bien souvent, étrangère à cette efflorescence.» Le théologien poursuit: «S’il est un consensus dans la recherche sur le Jésus de l’histoire, c’est bien là qu’il réside: le Nazaréen fut un prédicateur du Royaume, non seulement en paroles – ses paraboles en témoignent –, mais aussi en actes, dans sa pratique thérapeutique notamment. Cela nous permet de signaler une autre caractéristique, souvent notée, dans sa théologie du Royaume: loin de confiner cette espérance dans un futur (proche), Jésus s’en est voulu l’initiateur au présent (cf. Luc, 11, 20).»
Changement de temporalité
Enfin, le bibliste constate une transformation après la mort et la résurrection du Christ: «Après Pâques, c’est la temporalité de l’espérance qui change: les croyants en Jésus ne vont plus seulement conjuguer l’espoir au futur, ni même simplement l’anticiper au présent; non, pour eux, comme en témoigne par exemple l’Apocalypse de Jean, la victoire sur le mal est déjà accomplie (par ex. Apocalypse, 5, 5)
et détermine pleinement l’aujourd’hui. C’est là le constat fréquent des biblistes et théologiens, dans le sillage du grand théologien allemand Jürgen Moltmann. En d’autres termes: pour les premiers chrétiens, l’espérance n’est ni une utopie fantasmée ni la nostalgie d’un paradis perdu, mais la conviction que Pâques est l’aube de cette nouvelle réalité dans laquelle le pleur et le malheur prendront fin (par ex. Apocalypse, 21, 4), l’antichambre d’un nouveau monde, le triomphe de la vie sur la mort.»