La panique immorale
Les mesures de plus en plus drastiques prises en Suisse et ailleurs en Europe pour combattre le corona-virus appellent quelques réflexions critiques. Nous sommes en effet en train de succomber à une panique qui nous fait accepter, voire réclamer des mesures, dont je ne suis pas sûr que nous mesurions ce qu’elles ont de problématique, ou même d’immoral.
1. Nul ne sait quel est le taux de létalité de cette nouvelle affection virale.
Pour le savoir, il faudrait tester l’intégralité de la population. Toute projection est par conséquent hypothétique. Mais partons des chiffres actuels dans le pays européen le plus touché, l’Italie. L’épidémie s’y est déclarée le 26 janvier dernier ; elle a fait 3000 morts à ce jour (19.03). Le chiffre est impressionnant. Il se relativise toutefois si on le met en relation avec le nombre total de décès en Italie dans le même laps de temps. Chaque année, on compte en Italie environ 647'000 décès, avec un taux de moralité, en progression depuis longtemps (en raison de l’âge moyen élevé de la population italienne), de 10,7 pour mille en 2019 (en Suisse, il est de 8,6 pour mille, en diminution constante). Entre le 26 janvier et le 19 mars, l’Italie aurait compté environ 92'000 décès sans épidémie de corona-virus (probablement plus, car les décès sont plus fréquents en hiver qu’en été). Si l’on admet qu’aucun des malades décédés du corona-virus ne serait décédé s’il n’avait pas été infecté (une hypothèse fort peu vraisemblable), l’augmentation du nombre de décès est de l’ordre de 3%. On est loin d’une hécatombe ! Et l’Italie est le pays dans lequel la proportion de décès par rapport au nombre de malades diagnostiqués positifs est le plus élevé. Cela s’explique par la démographie italienne : la population italienne est constituée d’une proportion élevée de personnes âgées, à la santé fragile. Cela ne reste pas sans effet sur la répartition des personnes décédées du corona-virus : d’après les chiffres publiés hier par la FAZ, 60% d’entre elles étaient atteintes d’au moins trois maladies chroniques antérieures. On peut sérieusement douter qu’elles auraient succombé au corona-virus si elles avaient été en bonne santé. Et on peut admettre qu’une partie d’elles auraient aussi succombé à une grippe saisonnière (qui, rappelons-le, fait 20'000 morts en Allemagne pare année, donc plus de 15'000 morts en Italie).
2. Osons une projection au niveau mondial.
Il y a environ 59 millions de décès par année dans le monde. L’épidémie de corona-virus pourrait donc causer la mort d’environ 1,5 à 2 millions de personnes, si l’on prend les chiffres italiens comme base de calcul. À titre de comparaison, 17 millions de personnes meurent chaque année de maladies infectueuses (soit dix fois plus que les victimes potentielles du corona-virus). Mais cela ne nous émeut généralement pas : la plupart meurent en Afrique ou en Asie. 6 millions meurent du tabagisme ; mais on rechigne à prendre des mesures radicales contre le tabac, pour préserver certains intérêts économiques (l’argument de la liberté du consommateur a été réfuté par l’absurde par les mesures sanitaires prises pour combattre le corona-virus, infiniment plus liberticide que l’interdiction de tous les produits issus du tabac). 3,4 millions meurent de sous-nutrition. Je pourrais sans peine allonger la liste. Cela ne changerait rien à la conclusion : il y a d’autres causes de mortalité aux effets bien plus graves que le corona-virus. Nous n’entreprenons aucun effort pour les combattre ; dans certains cas, comme le tabagisme, nous en favorisons même l’essor pour des raisons économiques. « Sauver des vies », selon la formule pathétique utilisée ces derniers jours, n’est donc nullement une maxime qui guide de façon constante notre agir. Seule la vie de nos proches (et la nôtre, probablement) nous paraissent suffisamment dignes d’être sauvées pour que nous acceptions des mesures radicales comme celles qu’on nous impose en ce moment. Mais que l’on cesse alors de faire appel à la morale pour le justifier ou pour en favoriser l’acceptation. C’est un reflex égoïste, le contraire même de la morale !
3. Nul ne sait si les mesures prises auront l’effet voulu
Nul ne sait combien de temps elles dureront. En revanche, une certitude est en train de se faire jour : elles auront un coût gigantesque. Les chercheurs de l’EPFZ parlent de 100 milliards (cela fait onze zéros !) pour la seule Suisse. Cela représente environ 14% du PIB de la Suisse (environ 700 milliards en 2019). A titre de comparaison, la diminution du PIB due à la crise économique des années 1929-1933 en Allemagne correspond à peu près à 14% (sur trois ans ; par année, elle n’a jamais dépassé les 8%). On s’en rappelle les effets : chômage de masse, et arrivée au pouvoir d’Hitler.
Cette somme astronomique permettra dans le meilleur des cas de sauver quelques milliers de vie. En appliquant le taux de mortalité dû au corona-virus observé en Italie par rapport au nombre total de décès (environ 3%), nous aurions en Suisse un peu plus de 2000 morts à déplorer (nombre de décès en Suisse en 2017 : 69'371, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique). Cela nous donne un ordre de grandeur. Et cela suffit pour poser une question : pourquoi sommes-nous prêts dans ce cas à consacrer au moins un demi-million de francs pour « sauver une vie » alors qu’il y a quelques semaines nous discutions pour savoir s’il convenait que l’assurance obligatoire prenne en charge un médicament anti-cancéreux coûtant 300'000 fr. et susceptible de sauver une vie ? Et pourquoi sommes-nous disposés, en prime, à renoncer à notre liberté ?
4. Essayons de nous imaginer une seconde ce qu’il serait possible de faire avec une somme pareille !
Le PIB suisse compte pour environ 0,8% du PIB mondial. On peut dès lors s’imaginer de la somme que coûtera ce genre de mesures si elles sont appliquées au niveau mondial : plus de 10'000 milliards de franc ! Essayons de nous imaginer une seconde ce qu’il serait possible de faire avec une somme pareille ! La question qui se pose immédiatement est : ne serait-il pas possible de sauver bien davantage de vies en investissant ne serait-ce qu’une partie de cette somme dans des projets qui combattraient les maladies infectueuses endémiques en Afrique et en Asie, elles qui causent l’immense majorité des 17 millions de morts dues à ce type de maladies ? Un autre aspect doit encore être pris en compte. Les mesures restrictives prises par les gouvernements vont avoir pour conséquence une récession mondiale. L’un de ses effets sera de rendre plus difficile l’accès aux soins (pas seulement contre le corona-virus) dans d’innombrables pays, des Etats-Unis à la Russie en passant par les pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Mais cela ne préoccupe personne. Tant que ce sont les autres qui meurent…