L’accès à la PMA, l’expression d'une avancée sociétale majeure. Est-il permis de douter ?

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L’accès à la PMA, l’expression d'une avancée sociétale majeure. Est-il permis de douter ?

Par Jean-Fr. Ramelet
17 novembre 2019

Depuis le dépôt – en 2013 - par les Verts libéraux de l’initiative parlementaire dite pour un « mariage civil pour tous », un autre projet complémentaire s’est ajouté au débat, celui de la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes ainsi que la reconnaissance de la double filiation automatique.

En février dernier, par une toute petite voix d’écart, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a décidé de dissocier ces deux objets, soulevant à cette occasion un tollé parmi les lobbies LGBTI qui se sont lâchés pour dénoncer combien un mariage civil pour tous sans la PMA pour toutes n’était – selon eux - qu’un mariage au rabais, un mariage « light », de pacotille.

C’est donc en faveur de ce mariage « en toc » que les délégués de la FEPS se sont montrés favorables le 5 novembre dernier.

Contrairement aux débats qui ont précédés la votation sur le PACS en 2005, le propos a le mérite d’être clair : le but ultime visé par les lobbies LGBTI, plus que l’égalité juridique des partenaires, est l’accès à la procréation pour tous, argumentant notamment que le fait que les partenaires homosexuels ne puissent pas avoir accès à la PMA était une discrimination, une injustice. 

Je m’étonne de cette réaction des milieux LGBTI car de fait aucune loi suisse n’interdit à des homosexuels de devenir père ou mère. 

En droit Suisse, la loi reconnaît la femme qui accouche comme la mère de son enfant et ceci peu importe les modalités de sa conception (dont on ne va pas détailler ici la liste des possibles) ; le Code civil suisse ne fait que préciser le cadre d’une éventuelle recherche en paternité.

Le même code précise qu’une personne non mariée peut légitimement prétendre à l’adoption (art.264b du CC), et ceci quelle que soit l’identité sexuelle qu’elle revendique.

Les seules limitations portent sur la grossesse de substitution, autrement dit, le recours à une mère porteuse, que ce soit pour un couple hétérosexuel ou homosexuel, ainsi que le don d'ovocytes.

Pour le dire autrement, les homosexuels vivant en commun ou non, comme les personnes seules peuvent déjà accéder à la parentalité sans discrimination. Je n’y vois personnellement rien à redire, d'une part parce que les partenaires homosexuels ont autant de compétences éducatives qu’un couple hétérosexuel et d'autre part parce que le droit suisse interdit le don de sperme anonyme, préservant ainsi le droit de l'enfant à connaître ses origines (à noter que 2019 est la première année où des enfants nés de don de sperme peuvent demander à connaître les données de leur géniteur biologique).

C'est pourquoi je m’interroge de savoir pourquoi les milieux LGBTI tiennent-ils tant à l’ouverture de la PMA pour toutes ?

Aujourd’hui, la Loi sur la PMA (LPMA) conditionne son application aux couples risquant de transmettre une maladie génétique à leur enfant, ainsi qu’aux couples stériles ne pouvant pas concevoir un enfant par l’union naturelle.

L’accès à la PMA pour toutes ne pourra donc se faire qu’en modifiant ces conditions, car une femme, qu’elle soit homosexuelle ou seule est à priori (heureusement) présumée féconde.

Alors que la PMA est un traitement médical (souvent très contraignant pour les femmes) visant à palier une fécondité défaillante, la libéraliser et en donner l’accès à toutes les femmes, y compris celles qui ne souffrent pas de stérilité, serait légitimer le passage d’une procréation naturelle à une procréation de production ; ce serait passer de la procréation charnelle à une procréation dissociée de toute sexualité. A noter qu'une femme vierge pourrait donc devenir mère; certains me diront que le cas s'est déjà présenté par le passé, mais ce n'est pas là mon propos.

Ma seconde réserve touche à l’analyse du patrimoine génétique des gamètes (autrement appelé « diagnostique préimplantatoire » DPI), dont l'accès est actuellement limité aux même personnes autorisées à recourir à la PMA.

Libéraliser l’accès à la PMA, ce serait donc également permettre à ceux et celles qui y recourent de demander un DPI. Avons-nous conscience que ce serait là ouvrir la porte à la procréation sélective, autrement dit à l'eugénisme, qui s’accorde si bien au consumérisme ambiant ? On me dira que ce n’est là qu’un pur fantasme et que la législation suisse nous en préserve. Je n’en suis pas sûr ;  la généralisation de la PMA réclamée par les milieux LGBTI, comme celle du DPI qui lui sera associée, me fait craindre le pire.

La pression sociétale pour l’enfant parfait est si grande que je redoute que les limites que notre législation s’est donnée en la matière, ne suffisent pas longtemps à contenir cette dérive. Signalons qu’aujourd’hui la précision de l’analyse génétique des gamètes permet de prédire si l’enfant à naître va, par exemple,  loucher ou non. Et qu’en Californie, on peut sélectionner le sexe de l’enfant dans le cadre d'une PMA et que selon la loi de l’offre et de la demande, une banque de sperme danoise que tout un chacun peu consulter en ligne (cryos international), a récemment éliminé (sans le crier sur les toits) les paillettes de sperme de donneurs roux dont personne ne passait commande.

 

Ma troisième réserve tient à ce que la libéralisation de l’accès à la PMA pour toutes va de fait induire une réelle discrimination (cette fois) à l’encontre des partenaires gays, qui ne peuvent avoir accès à la PMA que par le recours à une mère porteuse, pratique aujourd’hui interdite par la LPMA, mais autorisée dans plusieurs pays dans le monde. Dans les rares législations qui autorisent la GPA dite « altruiste » (celle qui aurait les faveurs de la cote en Suisse), c'est-à-dire excluant tout échange monétaire de quelconque forme que ce soit, entre les parents d’intention et la mère porteuse (pas de don, pas de défraiement, etc), très peu de femmes (voire aucune) se proposent pour être mère de substitution bénévolement.

En plus de susciter des questions vertigineuses en termes de filiation (il peut y avoir jusqu’à trois mères dans la GPA : la mère biologique qui a donné ses ovocytes, la mère gestatrice qui accouche et la mère d’intention), la GPA induit une marchandisation inacceptable du corps de la femme, corvéable à merci et soumise aux volontés des parents commanditaires durant la grossesse (selon le sacro-saint principe de qui paie commande). La GPA acte également un rapport de pouvoir, non exempt d’une certaine forme de violence, entre les commanditaires et la mère porteuse. L’extrême majorité des mères porteuses étant des femmes défavorisées au service de couples ou de partenaires aisés. 

Pour jouer sur les mots : le contrat de « travail » n’a jamais aussi bien porté son nom que lorsqu’il s’applique à une mère porteuse.

Ne nous voilons pas la face, la PMA et la GPA sont devenus aujourd’hui des marchés dont s’est emparé sans vergogne le néolibéralisme. 

C'est pourquoi, il faut éviter de trop parler des droits de l’enfant pour ne pas tuer cette poule aux œufs d’or. 

 

L’accès à la PMA pour toutes, recueillait à Berne,  une grande majorité d’avis favorables parmi les parlementaires fédéraux dans la législature qui vient de s'achever. Nul doute que le résultat des votations d’octobre va encore renforcer ce consensus, tant cette libéralisation est présentée et perçue aujourd’hui comme l’expression d'une avancée sociétale majeure.

Je me permets - quant à moi - d’en douter.

Gare à celui ou celle qui se risquerait à contester ce prétendu progrès ; il se verrait aussitôt taxé d’homophobie.

Au vu des questions en cascade que pose la libéralisation de la PMA pour toutes, je m’étonne de ce très large soutien et de l'absence de débat serein sur un sujet qui devrait nous donner à tous le vertige.