La bénédiction des mariages homosexuels: un témoignage rendu à l’Evangile!
La question du mariage homosexuel agite les esprits au sein du protestantisme suisse. D’aucuns s’inquiètent de voir la future Eglise évangélique réformée de Suisse n’être qu’un caméléon qui cèderait à l’air du temps au lieu de rester fidèle à l’évangile. Mais souvent on a peine à identifier ce qui leur paraît contestable : l’introduction dans le Code civil du mariage entre deux personnes du même sexe (« mariage pour tous ») ou la bénédiction d’une telle union dans le cadre d’un culte ? Le dernier papier du blog de Gérard Pella me paraît caractéristique de cette hésitation, et des problèmes qu’elle soulève. Qu’on me permette, en toute amitié, de partir de ce texte pour reprendre cette question et proposer quelques distinctions et réflexions.
Des deux questions relevées à l’instant, la première (l’introduction du mariage entre deux personnes du même sexe) appartient au législateur, c’est-à-dire en l’occurrence au chambres fédérales, et sera, le cas échéant, soumise au référendum facultatif. Libres à ceux qui s’y opposent de lancer un référendum. On ne peut qu’espérer que les Eglises protestantes ne s’y associeront pas. Mais à bien lire Gérard Pella, il devrait s’opposer à une demande de référendum et, si elle aboutissait, inviter à voter en faveur de l’ouverture du mariage aux couples du même sexe. N’écrit-il pas qu’il « ne souhaite pas voir l’Eglise imposer à la société les convictions et les normes éthiques qui sont les siennes » ? Si tel est le cas, rien ne s’oppose à ce que le Code civil ouvre le mariage aux couples du même sexe.
Cela s’inscrit d’ailleurs de plein droit dans la tradition protestante, et plus précisément réformée. Luther déjà a refusé de considérer le mariage comme un sacrement puisqu’il n’avait pas été institué par Jésus (à la différence du baptême et de la sainte cène ; cf. La captivité babylonienne de l’Eglise, Genève, Labor et Fides, 2015, p. 159-179). Du coup, en protestantisme, il n’y a pas à proprement parler de définition théologique du mariage (alors qu’il y a une définition théologique du baptême et de la sainte cène). Zwingli a fait un pas de plus : il a confié aux autorités civiles la juridiction sur le mariage et sa dissolution (il a fallu attendre 1876 pour voir cette règle s’imposer partout dans le luthéranisme allemand). Dès le xvie siècle, le protestantisme réformé a donc laissé à la loi civile la responsabilité de définir les conditions du mariage et ses empêchements, alors qu’auparavant ces questions relevaient du droit canon, c’est-à-dire de la législation ecclésiastique. L’appartenance des conjoints au même sexe est jusqu’à présent un empêchement à la conclusion d’un mariage. Le « mariage pour tous » supprimerait cet empêchement, comme la législation civile a supprimé par le passé d’innombrables empêchements stipulés par le droit canon (pour des raisons de parenté avant tout) et en a introduit d’autres (comme les restrictions du mariage des mineurs, pour lutter contre les mariages forcés). Je ne vois pas pour quelle raison la question des unions entre personnes du même sexe devrait remettre en question la reconnaissance de la compétence exclusive de l’Etat à définir les conditions légales s’appliquant au mariage. Qui s’inquiète de la possible apparition de juridictions religieuses parallèles devrait s’abstenir de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une définition spécifiquement religieuse des normes relevant du droit étatique. On ne peut défendre la validité générale et exclusive du droit commun qu’à condition de garantir sa stricte neutralité confessionnelle.
Mais récuser toute définition théologique du mariage ne signifie nullement répudier toute réflexion théologique sur le mariage. Luther a ainsi consacré un très bel opuscule au mariage (De la vie conjugale, Œuvres III, Genève, Labor et Fides, 1963, p. 225-256). Gottfried Locher n’a d’ailleurs jamais contesté qu’il existât une théologie protestante du mariage ; il a relevé qu’il n’y avait pas de définition protestante du mariage. En historien de l’Eglise, il sait de quoi il parle.
Venons-en donc à la réflexion théologique sur le mariage et la seconde question, celle de la bénédiction des couples homosexuels. Cette réflexion théologique trouve son principe dans le commandement d’amour, une dimension que ne peut qu’ignorer le droit civil. L’amour que se portent les époux est le reflet de l’amour du Créateur. Cet amour n’est pas un simple sentiment, mais un engagement durable et exclusif à vouloir le bien et le bonheur de l’autre et à reconnaître dans son conjoint celui qui s’engage pour son bien et son bonheur. L’amour est le souci désintéressé et inconditionnel de l’épanouissement de l’être aimé. La fidélité, la solidarité, la confiance, tous les autres aspects du mariage trouvent leur source dans cet amour comme engagement d’une vie. Mais cet engagement confronte chacun à une exigence qu’il sait dépasser ses propres forces. C’est pour cela que nous demandons la bénédiction de Dieu. Seul Dieu peut rendre possible ce qui nous reste impossible.
Mais alors, pourquoi refuser la bénédiction de Dieu à un couple homosexuel ? Faut-il comprendre que deux personnes du même sexe seraient incapables de se promettre de chercher le bien et le bonheur l’une de l’autre ? Convient-il de considérer qu’elles sont indignes de la bénédiction de Dieu ? J’ose espérer que nul ne répond par l’affirmative à ces questions. Quand deux personnes s’engagent à chercher le bien et le bonheur l’une de l’autre, non seulement dans les périodes faciles, mais aussi et surtout lorsque tout pourrait les pousser à oublier leur engagement, ne convient-il pas que tous, nous nous réjouissions avec elles et nous demandions à Dieu de les bénir ? Qu’elles soient du même sexe ou de sexes différents, elles ont le même besoin de l’aide de Dieu pour pouvoir s’engager sérieusement à quelque chose qu’elles savent dépasser leurs propres forces. En bénissant un couple homosexuel, l’Eglise rend à l’Evangile le plus vivant témoignage : l’amour et la bénédiction de Dieu sont donnés à tous, sans distinction d’orientation sexuelle, et trouvent leur reflet dans tous les couples qui sont une bénédiction l’un pour l’autre.
C’est en rappelant sans relâche le Oui de Dieu à l’amour que se portent deux êtres humains que l’Eglise donne une saveur spécifique à la réflexion sur le mariage, et non en se cramponnant sur une (pseudo-)définition théologique du mariage qui en excluraient les couples du même sexe.
Pour qui souhaite une approche philosophique de la question de l’amour, voici un petit chef-d’œuvre : Harry Frankfurt, Les raisons de l’amour, Oberhausbergen, Circé, 2006. (116 pages). Les pages de Frankfurt seront une source d’inspiration aussi pour les théologiens qui réfléchissent à ce thème.