La justice réduit la marge de manœuvre des employeurs ecclésiaux

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La justice réduit la marge de manœuvre des employeurs ecclésiaux

Phillipp Saure
23 avril 2018
Un arrêt de la Cour de justice de Luxembourg pourrait venir soutenir la cause des candidats athées.

Photo: La Cour de justice de l Union européenne à Luxembourg CC(by) Cédric Puisney

, Luxembourg, EPD/Protestinter

Crèches, cliniques, maisons de retraite: en Allemagne, nombre de ces institutions appartiennent à la diaconie protestante ou à l’organisation catholique Caritas. Des centaines de milliers de postes y sont à pourvoir. Jusqu’à présent, pour les candidats, l’appartenance à l’Église représentait souvent un avantage, voire un impératif. Mais un arrêt rendu la semaine passée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pourrait bien modifier la base légale, donnant par exemple de meilleures chances aux musulmans et aux athées. (Affaire C-414/16)

Le cas traité à Luxembourg est celui de Vera Egenberger. En 2012, cette Berlinoise sans confession a postulé sans succès à un poste auprès de l’Evangelischen Werk für Diakonie und Entwicklung (Œuvre protestante pour la diaconie et le développement). Elle a ensuite attaqué l’organisation en justice, réclamant environ 10’000 euros de dommages et intérêts. L’offre d’emploi citait l’appartenance à une Église chrétienne (plusieurs possibilités étaient nommées) comme un prérequis. L’activité, à durée déterminée, concernait l’établissement d’un rapport sur la Convention internationale des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Vera Egenberger n’estime pas que la foi ne devrait jamais jouer dans l’attribution d’un emploi. Lorsqu’il s’agit d’assistance spirituelle ou de fonctions de direction, il est «compréhensible, raisonnable et acceptable» de demander une appartenance religieuse, a-t-elle déclaré à l’agence de presse protestante allemande EPD. Sa plainte, visant également à défendre les droits d’autres non-chrétiens, concerne les postes pour lesquels la confession du postulant est à ses yeux hors de propos.

Mais à qui revient-il de dire si la foi a ou non son importance dans le cadre d’un travail? Selon la diaconie et l’Église protestante d’Allemagne (EKD), dont elle dépend, seul l’employeur ecclésial lui-même a autorité à en décider. D’après le droit ecclésial, l’ensemble des collaborateurs contribuent en principe à témoigner de l’Évangile. L’Église s’estime, dans ce cas, pouvoir bénéficier du droit à l’autodétermination des Églises, garanti par la Loi fondamentale allemande et explicitement reconnu par le traité européen de Lisbonne.

La CJUE a aujourd’hui décidé que les employeurs ecclésiaux désirant citer la confession comme prérequis pour un poste devraient se soumettre à un contrôle juridictionnel. La juridiction concernée devra établir si, dans chaque cas, l’appartenance à une religion spécifique constitue «une exigence […] essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation».

L’existence «objectivement vérifiable» d’un lien direct entre la confession et l’activité est un point important. C’est le cas, par exemple, lorsque cette dernière implique de collaborer à la «mission de proclamation» de l’institution ecclésiale, précise l’arrêt. La CJUE fixe en même temps une limite: ce n’est pas à l’État d’apprécier la «légitimité de l’éthique» en elle-même.

Suite à ce verdict, la plaignante s’est dite heureuse que cette pratique des employeurs ecclésiaux «ne puisse perdurer dans ces conditions». À l’avenir, il conviendra d’«établir une distinction entre les activités “présentant une proximité” avec la proclamation du message de l’Église et les activités “sans proximité” avec celle-ci». Ce changement aura un très fort impact sur la gestion du personnel, explique Vera Egenberger. Le Ministère allemand du Travail a déclaré dans un communiqué que Luxembourg avait «restreint le droit des employeurs ecclésiaux à décider pour eux-mêmes quelles sont les activités pour lesquelles l’appartenance à la religion concernée est nécessaire».

La diaconie, elle, a préféré souligner ce qui ne changeait pas: la CJUE a confirmé «que le droit à l’autodétermination des Églises est bien le facteur principal dans ce type de mise en balance», a déclaré son président Jörg Kruttschnitt. Les exigences en matière de recrutement ne sont d’ores et déjà pas censées tomber dans l’arbitraire, a-t-il poursuivi. Il juge cependant probable «que la nécessité de justification s’en trouve une fois encore intensifiée».

L’EKD a salué le fait que la CJUE ait «de nouveau confirmé, sur le principe, la conception autodéterminée par l’Église du droit du travail pour l’Église et la diaconie». Elle regrette cependant que la Cour «n’ait pas suffisamment mis en application» l’article 17 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette disposition du traité de Lisbonne impose à l’Union de respecter le statut des Églises dans ses États membres.

Il s’agit à présent d’attendre le verdict de la Cour fédérale du travail allemande, siégeant à Erfurt. C’est celle-ci qui avait consulté la CJUE sur l’interprétation de ce point du droit européen, et elle doit aujourd’hui trancher le litige en fonction de l’arrêt rendu. Néanmoins, si l’Église et la diaconie estiment que les juges luxembourgeois interfèrent trop fortement dans le droit d’autodétermination de l’Église, il leur restera la possibilité de porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe.