Les chrétiens d’Égypte invités à renvoyer l’ascenseur au président al-Sissi
Photo: Abdel Fattah al Sissi en septembre 2017 CC(by) Ressources officielles de la présidence russe
Par Jacob Wirtschafter et Mina Nader, RNS/Protestinter, Le Caire
Depuis que Abdel-Fattah al-Sissi a repris la présidence de l’Égypte il y a quatre ans, il a contribué à améliorer la vie des chrétiens coptes en leur accordant des droits et avantages presque égaux à ceux des musulmans, malgré que leurs églises ont subi des attaques terroristes. On s’attend donc à ce que les Coptes lui rendent la faveur en le soutenant lors de l’élection nationale présidentielle dont le premier tour aura lieu du 26 au 28 mars 2018.
«Les pasteurs sont en train de dire aux fidèles qu’il est impératif de voter et que rester à la maison lors de l’élection serait un péché», affirme Ishak Ibrahim, chercheur spécialisé dans les questions liées aux minorités au sein de l’Initiative égyptienne pour les Droits de la personne, un groupe qui examine les attaques et la discrimination contre la communauté chrétienne copte.
Le taux de participation comme seul enjeuAbdel-Fattah al-Sissi est déjà assuré de sa victoire lors de ce scrutin grâce à l’emprisonnement de trois adversaires et à l’abandon de quatre autres opposants. Seul un candidat Moussa Mostafa Moussa reste en lice face au président sortant. Méconnu et proche du régime en place, il est accusé par l’opposition de ne servir qu’à sauver les apparences d’une élection libre.
Malgré sa victoire d’ores et déjà certaine, Abdel-Fattah al-Sissi fait campagne. Il espère obtenir un haut taux de participation, et les plus de 10 millions de chrétiens coptes dans le pays sont essentiels pour cela. Le but est de dépasser les 47,5% de participation de 2014, lorsque al-Sissi a remporté près de 97 % des votes.
Beaucoup de Coptes craignent le retour d’un pouvoir islamique bien plus que les tendances autocratiques d’al-Sissi, anciennement directeur de l’intelligence militaire et maréchal des armées. La menace extrémiste s’est concrétisée avec les deux attentats du dimanche des Rameaux dans des églises à Alexandrie et Tanta et qui ont tué 43 personnes en avril 2017, ainsi que les meurtres de 28 pèlerins se rendant à un monastère près de la ville de Minya un mois plus tard.
Les chrétiens ont longtemps été des citoyens de 2e classe«Les responsables de l’Église ont entendu les propos du président al-Sissi sur l’égalité civique et ils le considèrent avec faveur comparé au bilan de l’ancien président Mohammed Morsi des Frères musulmans», explique Ishak Ibrahim.
Sous Morsi, il y a eu des affrontements entre musulmans et chrétiens devant les portes de la cathédrale St-Marc, le siège cairote du leader spirituel des Coptes, le pope Tawadros II. Les chrétiens étaient horrifiés que Morsi ait refusé de déployer la police sur les lieux.
Trois mois plus tard, Tawadros a fait un discours télévisé soutenant le renversement de Morsi après des semaines de protestations dans les rues ainsi que l’intervention militaire qui a conduit à la montée d’al-Sissi à la présidence. «Les Frères musulmans étaient en train de tuer et détruire et l’on voyait que personne n’allait les arrêter», se souvient John Kamal, un Copte de 28 ans, docteur en médecine interne au Caire. «Mais dès son premier jour en place, le président Sissi a annoncé clairement qu’il soutenait la communauté copte.»
Une cathédrale dans la nouvelle capitaleJohn Kamal montre la place d’honneur accordée à l’immense cathédrale que l’on a décidé de construire dans la nouvelle capitale administrative d’al-Sissi, une ville d’un coût de 45 milliards de dollars s’élevant rapidement des sables du désert, à 45km à l’est du Caire. «Certains disent que l’argent devrait être consacré aux pauvres, mais pour moi, il s’agit d’un symbole important d’une nouvelle Égypte — et de la vision pour l’égalité d’al-Sissi», défend John Kamal.
Le coût exact de la construction de la cathédrale n’a pas été divulgué, mais d’après les médias étatiques, le gouvernement égyptien et les forces armées ont budgété plus de 12 millions de dollars pour ce projet. C’est le géant de la construction Orascom qui est chargée de bâtir la cathédrale. Les propriétaires principaux sont des entrepreneurs coptes, Onsi et Nassef Sawiris, qui comptent parmi les hommes les plus riches en Égypte.
Mêmes droits pour tous«Le président a clairement déclaré que tous les droits et tous les devoirs s’appliquent à chaque citoyen en Égypte», souligne le porte-parole de l’Église orthodoxe copte, le pasteur Poules Halim. Le président a assoupli les contraintes pour construire des églises, il a récemment autorisé 53 nouveaux bâtiments ecclésiaux dans la vallée du Nil. Il a aussi donné aux Coptes le droit de prendre des jours de congé pour faire des pèlerinages à Jérusalem. Abdel-Fattah al-Sissi a aussi fait intervenir les forces de l’ordre dans le combat violent contre l’État islamique et contre d’autres militants islamistes, surtout dans la région du Sinaï. Les meurtres en février de sept chrétiens à El Arish par un mouvement égyptien proche de l’État islamique ont conduit à l’exode en masse de centaines de chrétiens de la région du nord de la péninsule. «Où est le mal que l’Église soutienne le président?», interroge le porte-parole de l’Église. «al-Sissi montre qu’il est le président de tous les Égyptiens.»
Mais le jeu entre politique et religion inquiète Mina Magdy, 32 ans, ophtalmologue au Caire et copte. «L’Eglise est une institution spirituelle dont le but est d’enseigner les gens dans la foi chrétienne», dit-il. «Je suis contre le fait que l’Église exerce un rôle dans les élections, soit en mobilisant des électeurs ou en appuyant l’élection de tel ou tel candidat.»
Déçus par le Printemps arabeOr beaucoup de chrétiens sont méfiants quand on leur demande si c’est leur identité religieuse ou leur statut économique qui influence leur choix de voter et de valider un second mandat pour al-Sissi. «Je soutiens al-Sissi, non pas parce que je suis une femme ni parce que je suis chrétienne», dit Sylva Terzibashian, 55 ans, assistante de direction de la banlieue cairote d’Heliopolis. «Nous vivons aujourd’hui une période difficile. Nous sommes pris dans une guerre, et nos espoirs en la “révolution” ont été déçus. Al-Sissi fait de son mieux.»
Par «révolution», elle parle du Printemps arabe qui a déclenché les confrontations qui ont certes conduit à la défaite de l’ancien président Hosni Mubarak en 2011, mais qui ont aussi frayé un chemin pour le régime islamiste de Morsi.
La gestion d’al-Sissi de l’économie défaillante, sa répression de la liberté d’expression et sa suppression des alternatives politiques ont créé un faux choix entre l’intolérance de l’islamisme et l’autoritarisme de l’état militarisé de l’Égypte, d’après Ishak Ibrahim, observateur des droits humains. «Les paroles d’ouverture envers les minorités religieuses sont un pas vers l’avant», dit-il. «Mais les mesures d’austérité dans l’économie, telles que la dévaluation monétaire et la fin des subsides pour l’alimentation de base, signifient que les chrétiens pauvres et les musulmans pauvres finissent par se battre pour les ressources, autant que pour la religion.»