Les mosquées développent des services en santé mentale
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(RNS/Protestinter)
Raleigh, Caroline du Nord — Dans une salle de conférence au deuxième étage de l’Association islamique de Raleigh se déroule une rencontre entre un thérapeute et un membre de la mosquée souffrant de détresse émotionnelle. Autour de la table, dans cette pièce sans fenêtre, ils discutent pendant une heure. Le thérapeute constitue une liste d’experts qui offrent des aides ciblées pour résoudre les conflits conjugaux, les troubles comportementaux chez les enfants, la dépression, la dépendance et d’autres problèmes encore.
Aux États-Unis, peu de musulmans sont disposés à consulter des experts en psychiatrie à cause des tabous liés à la maladie mentale ou parce qu’ils craignent qu’un thérapeute formé à l’occidentale ne comprenne pas leur culture ou leur religion. En revanche, ils se tournent vers les imams et autres responsables communautaires, qui discrètement les dirigent vers des experts en santé mentale. Or, les dirigeants de la mosquée de Raleigh, qui attire des milliers de fidèles chaque semaine, se sont rendu compte que les problèmes de maladie mentale avaient besoin d’être traités de manière plus professionnelle alors que les demandes explosent.
«Nos imams reçoivent des centaines de demandes chaque semaine», a constaté Azleena Azhar, une aumônière musulmane diplômée et une des responsables de l’initiative de réorientation. «Les gens en sont bouleversés. Ils commencent à comprendre que s’ils n’ont pas besoin des conseils d’un érudit religieux, ils peuvent simplement venir discuter avec nous».
Des séances gratuitesIl y a un an, un groupe de spécialistes en santé mentale qui sont aussi membres de la mosquée se sont mis d’accord pour proposer gratuitement leurs services. Les membres peuvent désormais venir et choisir parmi les six experts – dont un thérapeute familial, un aumônier et un conseiller en dépendances – pour une session gratuite et confidentielle. Cette nouvelle initiative a débuté en septembre 2017, et fait partie d’un panel grandissant de services sociaux à l’échelle nationale qui vise à répondre aux besoins croissants des musulmans américains.
Les musulmans aux États-Unis sont diversifiés sur le plan ethnique, avec près de 60% d’entre eux qui sont nés à l’étranger. Minoritaires, ils représentent seulement 1.1% de la population américaine. Ils ont particulièrement subi des agressions et des intimidations depuis le début de la présidence de Donald Trump. L’interdiction d’entrer sur le territoire et la montée de la rhétorique nationaliste qui considère les immigrants comme des «autres» ont contribué aux sentiments de peur, de harcèlement et de diffamation.
«Il y a ce sentiment collectif et permanent d’être attaqué», a remarqué le Dr Hamada Hamid Altalib, psychiatre et neurologue, président de l’Institut pour la santé mentale des musulmans et éditeur en chef du Journal pour la santé mentale des musulmans. Pourtant, beaucoup de musulmans craignent de parler à des étrangers de violence domestique ou de troubles de comportement, par peur que cela puisse nuire à la religion en général, a ajouté Kameelah Mu’Min Rashad, fondatrice et présidente de la Fondation de bien-être pour les musulmans à Philadelphie. «C’est à double tranchant d’aborder ces questions en dehors de la communauté, parce que cela renforce les stéréotypes contre lesquels nous nous battons», a-t-elle précisé.
Faciliter l’accès aux soinsLe fait de proposer des services de soins psychiatriques via la mosquée peut aussi servir à fournir une couverture et une autorisation d’accéder aux soins, a souligné Heather Laird, une psychologue qui dirige le Centre de santé mentale pour les musulmans et de psychologie islamique à l’Université de la Californie du Sud. Heather Laird fait partie des musulmans de plus en plus nombreux qui s’efforcent d’encourager les membres à recourir aux services de soins psychologiques. En février prochain, elle organisera une conférence intitulée «Vers la définition d’une psychologie islamique », qui va rassembler des érudits islamiques et des experts en santé mentale pour élaborer ce qu’elle appelle «une définition pratique de la psychologie islamique».
«Beaucoup de gens pensent directement à Freud quand on parle de la santé mentale, et les idées de ce psychanalyste leur posent de sérieux problèmes», a constaté la psychologue. «Principalement parce qu’ils le considèrent comme antireligieux. Ils ne se rendent pas compte que la santé mentale s’étend bien au-delà de Freud». Heather Laird travaille à l’élaboration d’une ligne téléphonique d’urgence en santé mentale pour les musulmans vivant en Californie du Sud. Elle a contribué à plusieurs initiatives de promotion des services de santé mentale compatibles culturellement aux musulmans au travers de l’éducation, de soins et de recommandations.
«Nous remarquons un grand nombre de traumatismes intergénérationnels dans notre communauté par rapport à des problèmes qui n’ont jamais été abordés: la dépression, les problèmes conjugaux, le suicide chez les jeunes, la sexualité des gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres. Notre communauté est traumatisée».
Religion et santé mentaleLa sensibilité culturelle est essentielle parce que les musulmans ne vont pas consulter les services de santé mentale s’ils craignent que leur identité religieuse soit menacée, a souligné Shaykh Suhail Mulla, chercheur résident à la Société islamique de West Valley à Los Angeles et aumônier à l’Université de Californie (UCLA). Par exemple, une femme portant le hijab et qui cherche un psychiatre ne voudra pas qu’on lui dise: «Enlevez votre hijab, intégrez-vous et soyez comme tout le monde, ensuite vous trouverez du travail».
Shaykh Suhail Mulla espère pouvoir ouvrir, cette année, un bureau dans la région de Los Angeles proche du Khalil Center, une clinique qui a adopté une approche de la santé mentale basée sur la foi tout en intégrant la psychologie et les concepts théologiques musulmans. Le Khalil Center a trois succursales en Californie du Nord et trois autres dans les environs de Chicago. D’autres modèles dans des quartiers comportant peu de musulmans sont également en train d’émerger. Dans certaines mosquées, un expert en santé mentale proposera des consultations un après-midi par semaine, ou une fois par mois.
Dans d’autres endroits, comme à Detroit, le Cercle islamique de l’Amérique du Nord a instauré un programme appelé Services familiaux musulmans, qui propose des consultations. Parallèlement, il y a le modèle des aumôniers musulmans qui travaillent dans les universités, les hôpitaux, les prisons et à l’armée. Certains sont également embauchés pour assister les imams et autres dirigeants communautaires. De plus, l’Institut pour la santé mentale musulmane est en train d’établir un annuaire des médecins musulmans.
Les bienfaits de l’écouteJames M. Lyon travaille comme bénévole dans le programme de réorientation de la mosquée de Raleigh parallèlement à ses études en toxicologie. Il a affirmé apprécier pouvoir aider ses amis musulmans. «Le fait de pouvoir parler à quelqu’un en toute confiance fait déjà du bien. Ils savent que nous sommes là pour les soutenir». C’est ce qu’a ressenti Maria, une musulmane de 43 ans qui fréquente la mosquée de Raleigh, après une séance avec Azleena Azhar, l’aumônière musulmane.
Maria, qui ne souhaite pas qu’on dévoile son nom de famille, a été diagnostiquée bipolaire et souffre de dépression. Elle a découvert le service de soin sur le site web de la mosquée. Pendant la séance, on lui a remis une liste de médecins dans le comté de Franklin, où elle habite, de même que dans le comté de Wake où est située la mosquée. «Cela nous fait prendre conscience que la santé mentale fait partie de la vie des musulmans. Je trouve ce service exceptionnel».