Au Texas, l’église où a eu lieu un massacre sera détruite, comme les autres sites de telles tueries
Photo: CC(by-nc-nd) killerbeesateme
et Kimberly Winston, Sutherlan Springs, Texas, RNS/Protestinter
Le site où, le 5 novembre, un tireur solitaire a tué 25 personnes en tirant des centaines de balles, va faire place à une église neuve, a annoncé un représentant de la dénomination. Devenu désormais un rituel américain macabre, les sites de tueries en masse comme Sandy Hook ou Columbine ont été détruits et ensuite rebâtis. Mais certaines églises qui ont subi des tueries atroces ont cherché à se réapproprier ces espaces sacrés déjà existants.
Ce n’est pas le cas pour First Baptist. Frank Page, président et directeur du comité exécutif de la Southern Baptist Convention, et Steve Gaines, président de la SBC, ont confirmé la décision de démolir l’église après s’être réunis à Sutherland Springs le 7 novembre, avec le pasteur endeuillé, Frank Pomeroy.
«Ils ont dit: “Nous ne pouvons plus y retourner”» relate Frank Page, relayant des propos de membres restants de cette église. «Cela va toujours nous rappeler cette violence atroce contre des innocents.»
Frank Pomeroy et sa femme Sherri n’étaient pas à l’église ce dimanche-là, quand Devin Patrick Kelley, 26 ans, a ouvert le feu. Mais leur fille de 14 ans, Annabelle, adoptée à l’âge de 2 ans, a été tuée.
Frank Page annonce que c’est un donateur anonyme qui va financer la construction d’une nouvelle église. Et la convention du Cadre missionnaire nord-américain s’est proposé pour payer tous les enterrements, même si le programme de Compensation des victimes du crime du Texas l’aurait fait. «Nous allons prendre soin des nôtres», explique Frank Page.
La structure de l’église pourrait être compromise à cause des centaines de balles qui ont grêlé les murs, ajoute le shérif Joe Tackitt Jr. de Wilson County. Il décrit une vision macabre de «sang partout» à l’intérieur de l’église. «Sans doute que personne ne voudrait revivre ça», note Andy Wyatt, résident de Sutherland Springs qui a créé des séries d’études bibliques ludiques destinées aux enfants de la First Baptist Church, malgré qu’il n’en était pas membre. «Ils méritent quelque chose de plus grand et de mieux. On veut reprendre à neuf, quelque chose de nouveau.»
Lieux de tueries souvent détruitsCe genre de renouveau suite à une atrocité de masse a ses précédents. L’école secondaire de Columbine, où 13 personnes ont été tuées et 21 blessées lors d’une tuerie de masse en 1999, a été partiellement reconstruite, notamment la bibliothèque où beaucoup des victimes sont mortes. Le site des tours du World Trade Center, détruits le 11 septembre 2001, est aujourd’hui un complexe rebâti avec des gratte-ciel, un mémorial et un musée. L’école de Nickel Mines en Pennsylvanie où on a tué cinq écolières amish en 2006, a été rasée et reconstruite. A Utoya en Norvège, où 69 personnes— pour la plupart mineures— ont été tuées lors d’un camp de jeunes chrétien en 2011, on a préservé un des bâtiments où les victimes sont mortes en l’incorporant dans un bâtiment plus grand avec mémorial et centre d’interprétation. L’école primaire de Sandy Hook à Newtown, au Connecticut, site d’une fusillade en 2012 qui a tué 20 enfants et 6 adultes, a été détruite et rebâtie. Elle a été inaugurée l’année dernière.
Aucun de ces endroits n’était des lieux de culte considérés comme des endroits sacrés où les gens viennent pour se tourner vers le divin et retrouver la paix, le calme et la transcendance. Mais ce sont des endroits où les gens sont censés trouver confort, soutien ou guérison, et non pas pour être terrorisés et assassinés.
Se réapproprier un espace sacréPuisque dans certaines confessions, les lieux de culte sont considérés comme sanctifiés, les fidèles peuvent ressentir le besoin de se réapproprier leur espace sacré. Mais on peut le faire de différentes manières. Michelle Walsh, ministre universaliste unitaire, qui donne des cours à l’Université de Boston sur le traumatisme et la théologie, a étudié une église universaliste unitaire de Knoxville durant sa période de récupération après qu’un tireur solitaire a tué deux personnes et blessé sept autres lors d’un spectacle pour enfants en 2008.
Les bancs ont été réalignés, les murs repeints, un rideau criblé de trous de balle a été enlevé, mais conservé. Une semaine après la tuerie, l’église a reconsacré le sanctuaire lors d’un service durant lequel on a béni les endroits où sont tombés les morts et accroché une plaque. L’office s’est conclu avec un hymne: «Que le mal ne puisse franchir ce seuil.»
«J’ai parfois constaté qu’il y a une férocité chez les survivants qui disent: “Nous avons survécu à ceci et nous avons une foi qui survit, même face à un tel événement”», explique Michelle Walsh. «Il s’agit de se réapproprier le lieu et de le marquer, non pas comme un lieu de mort ou un lieu de perte, mais un lieu de vie.»
D’autres lieux de culte ont trouvé des manières de reprendre le lieu sans le rebâtir. Après que neuf personnes, dont le pasteur, ont été tuées lors d’une étude biblique dans la cave de l’Eglise AME Emanuel à Charleston (Caroline du Sud) en 2015, les membres de l’Eglise ont accroché des tableaux des victimes sur les murs et ont continué à se réunir les mercredis soir avec leurs Bibles ouvertes devant eux. Leur sanctuaire historique n’a pas été touché lors de la fusillade.
Et encore, quand six personnes ont été tuées et quatre blessées dans un temple sikh à Oak Creek (Wisconsin) en 2012, les croyants n’ont pas abandonné le sanctuaire. Ils ont même conservé certains des trous de balle. «C’est un encadrement pour la blessure», dit Pardeep Kaleka, fils de l’ancien président de temple, Satwant Singh Kaleka, mort dans le massacre, dans son entretien avec The Associated Press. «C’est la blessure de notre communauté, la blessure de notre famille, la blessure de notre société.»
Un miracle cachéMais dans le cas de la tuerie de l’église au Texas, il se peut que le crime était d’une telle gravité qu’il est nécessaire de rebâtir, dit Steven Sewell, un conseiller chrétien pour le deuil qui travaille souvent avec des Eglises qui font face à des traumatismes.
«Ce qui arrive parfois dans les Eglises (qui vivent un drame) est qu’elles restent dans le même endroit physiquement et spirituellement, alors qu’on est dans une situation impossible», raconte-t-il. «Personne ne veut que son église soit “celle où il y a eu cette horreur”. Leur manière de reconstruire devient donc ce que j’appelle une grandeur cachée. C’est-à-dire que même au sein de toute cette tragédie, il y a un miracle caché qui va se révéler.»
Dans tous les cas, la First Baptist Church de Sutherland Springs va devoir reconstruire bien plus que son sanctuaire. Environ la moitié de l’assemblée, y compris tous les enseignants de l’école de dimanche et plusieurs des responsables de musique, comptent parmi les victimes, affirme Frank Page, le représentant de la SBC, d’après ce que le pasteur lui a relaté.