L’empathie peut-elle s’apprendre? La science répond
Photo: CC(by-sa) Maeka Alexis
, RNS/Protestinter
Chaque fusillade est un exemple de plus de la capacité humaine à faire le mal. Chaque fois, les gens en appellent à davantage de contrôle sur les armes et à une hausse des mesures de sécurité. Mais qu’en est-il des appels pour davantage d’empathie dans la société?
L’empathie reste une valeur centrale de la plupart des croyances dans le monde. Les religions abrahamiques, l’hindouisme et le bouddhisme mettent l’accent sur la bonté et la compassion. D’après les scientifiques, c’est également un instinct que les humains peuvent apprendre à peaufiner. L’empathie signifie comprendre les pensées de l’autre, ses sentiments ou ses états d’âme. Les études montrent aussi que d’autres mammifères sont affectés par la contagion émotionnelle: le phénomène de transmission d’une émotion d’une personne à une autre.
Stephanie Preston, professeure en psychologie à l’Université du Michigan, est coauteure d’un rapport discutant des preuves les plus récentes sur l’étude de l’empathie chez les humains et autres mammifères. Des singes, tels que les chimpanzés et les bonobos, sont capables de développer une soi-disant théorie de pensée par laquelle ils prennent en compte la perspective d’un autre animal, proposant par exemple réconfort et consolation. On a aussi observé des capacités d’empathie chez les souris, les oiseaux et les fourmis. Même les rats ont des réponses émotionnelles quand ils voient d’autres rats qui souffrent. «Ces réponses émotionnelles conduiront les rongeurs même à aider la victime, ainsi les rats vont s’entraider», explique Stephanie Preston. «Si l’un est pris dans une boîte dans une cage, l’autre rat s’efforcera de libérer le rat. A travers les espèces, on voit des capacités différentes à l’empathie.»
On retrouve beaucoup de processus biologiques derrière l’empathie. Les neurones miroir sont des cellules neurales qui s’illuminent autant lorsqu’on effectue une action que lorsqu’on observe une autre personne effectuant cette même action. Les neurones miroir ne sont qu’une petite partie de l’ensemble. Notre mémoire nous aide à comprendre de manière conceptuelle ce qu’expérimente l’autre personne et nous fournit un contexte par rapport à ce que l’autre personne ressent.
«Toutes ces représentations neurales réparties qui existent sont basées sur vos propres expériences et vous aideront à vous connecter aussi à cette expérience», décrit Stephanie Preston. «Si quelqu’un traverse une épreuve difficile et que vous avez déjà vécu cela vous-même, vous allez plus facilement et directement pouvoir comprendre ce que l’autre ressent.»
De plus, les personnes qui sont très altruistes ont les amygdales plus larges, c’est-à-dire les parties du cerveau qui gèrent les émotions, les instincts de survie et la mémoire. Ces personnes sont plus réactives envers les craintes des gens et peuvent plus facilement identifier leurs expressions émotionnelles, explique Abigail Marsh, professeure en psychologie à l’Université de Georgetown qui a effectué une étude cette année sur pourquoi les donneurs de reins sont plus altruistes.
«Nous avons des preuves qui suggèrent que le fait d’avoir des expériences de vie à grand impact aide à avoir une meilleure empathie avec les gens», décrit Abigail Marsh. «On voit également que des variables culturelles et démographiques plus larges comme le bien-être et l’épanouissement font que les gens ont plus d’empathie envers les étrangers.»
Les chercheurs disent que l’empathie n’est pas seulement un instinct biologique; c’est un trait que les êtres humains peuvent apprendre et développer. Si les gens la mettent en pratique, leurs corps vont y réagir et cela peut devenir une seconde nature.
Stephanie Preston, qui a fait des études sur comment les gens développent l’altruisme, dit que les mammifères ont évolué pour prendre soin de leur progéniture. Les petits des mammifères prennent plus longtemps pour se développer avant de devenir indépendants. Avec le temps, les mammifères se sont adaptés pour répondre à la détresse chez leurs petits, mais aussi chez leurs proches, amis ou autres êtres dans leurs groupes sociaux.
Actuellement, Preston travaille sur une étude d’imagerie du cerveau pour laquelle les sujets sont couchés dans une machine IRM tandis qu’on leur montre des descriptions d’œuvres humanitaires qui cherchent des dons financiers. Elle a constaté que les gens ont tendance à donner plus si la personne dans le besoin est soit un enfant, soit dans une situation d’urgence.
Par contre, il est moins évident de voir comment la religion joue sur nos impulsions biologiques. Une étude de l’Université de Chicago montre qu’une éducation chrétienne est associée avec un moindre niveau d’altruisme. D’autres études montrent le contraire. Une étude de l’Université de Varsovie a découvert que les croyances religieuses sont associées positivement avec l’empathie, puisque des traits empathiques sont des facteurs essentiels à la religion.
Non seulement les systèmes de croyances exigent que les adhérents puissent comprendre les sentiments des autres, mais qu’il est aussi nécessaire d’agir et d’aider les autres! Les personnes et les animaux ont tendance à se soucier de leur famille, leurs amis et autres dans leurs groupes sociaux. C’est pourquoi les religions élèvent en général l’empathie humaine.
«C’est une bonne chose de valoriser certains types d’états émotionnels tels que les fruits de l’esprit— la bienveillance, la joie, etc.», dit Stephen Post, professeur en médecine de famille, collective et préventive à l’Université Stony Brook qui étudie la religion et la santé. «Voilà en quoi consiste majoritairement la spiritualité — un esprit d’unité et de puissance divine en quelque sorte, qui peut nous diriger vers des émotions de chaleur et d’amour, loin de celles qui sont destructives et douloureuses.»
Les grandes religions et philosophies dans le monde ont des enseignements sur l’empathie qui demandent que leurs adhérents s’identifient avec les sentiments des autres: «Tu n’opprimeras point l’étranger; vous savez ce qu’éprouve l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte» (Exode 23: 9); «Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent» (Matthieu 5: 44) ou «Ne blessez pas les autres avec ce qui vous blesse vous-même» (l’Udanavarga, collection de versets bouddhiques).
Dans la religion, l’empathie est généralement l’une des plus hautes vertus. «L’empathie dans la religion n’est pas seulement une notion ou un sentiment intellectuel, et ce n’est pas non plus juste le fait de se retenir d’agir de manière injuste envers les autres. C’est aussi un appel à montrer de la bienveillance envers d’autres», dit Yudit Greenberg, professeur d’études religieuses au Collège Rollins. «Cela implique une action.»
Certains scientifiques aussi croient que l’empathie peut se cultiver. Abigail Marsh, qui a écrit un livre intitulé «Le facteur de la peur», argumente que, hormis les fusillades, les gens acquièrent plus de compassion avec le temps. D’après la Charities Aid Foundation, il y a une croissance dans les gestes altruistes chaque année.
Abigail Marsh pense que les horribles actes de violence ont peu à voir avec l’empathie puisqu’ils sont commis par des gens qui soit souffrent de maladie mentale, ou qui expriment leurs accès de colère contre des personnes spécifiques ou en général. Dans ces cas, c’est la rage qui domine sur la compassion.
Pour développer l’empathie, Abigail Marsh propose la méditation de compassion, c’est-à-dire se former pour cultiver et étendre des sentiments de sollicitude et de compassion vers des cercles croissants de gens. Une autre manière, estime Yudit Greenberg, est de participer à des projets pour apprendre à servir ou à des engagements communautaires qui peuvent aider les gens à cultiver l’empathie envers des gens en dehors de leurs groupes sociaux habituels. «Sans l’empathie, nous perdons notre boussole morale», ajoute Greenberg. «Avec toutes ces tragédies, tous ces désastres naturels et humains, c’est évident que nous ressentons l’horrible douleur des familles et amis qui sont touchés par ces événements tellement, tellement affreux. Je me rends compte à quel point nous avons non seulement de l’empathie, mais nous agissons.»