70 ans après leur découverte, les manuscrits de la mer Morte continuent à passionner
Par A. James Rudin, RNS/Protestinter
Image: Petite annonce dans le «Wall Street Journal» du 1er juin 1954. DR
Pour beaucoup, l’éducation biblique avec ses langues mortes et ses textes anciens est vraiment ennuyeuse. Mais les manuscrits de la mer Morte parviennent généralement à susciter un regain d’intérêt. Ils ont été trouvés par des bergers bédouins en 1947 dans le désert de la Judée, près de Jérusalem. La découverte, il y a 70 ans, de ces anciens textes religieux juifs a immédiatement passionné et titillé les imaginations autour de société secrète et d’intrigues dignes des plus grands romans.
Les chercheurs ont déclaré que ces anciens textes en parchemin, principalement rédigés en hébreu ou en araméen il y a 2100 à 2300 ans, entourés de lin et enduits de cire, prédisaient et validaient les affirmations théologiques chrétiennes sur Jésus de Nazareth. Mais d’autres ont mis en doute l’authenticité de ces manuscrits fragiles. Etaient-ce des vrais ou des contrefaçons, une supercherie moderne?
En même temps, si les manuscrits s’avéraient authentiques, les Israéliens souhaitaient les voir «revenir à la maison» pour les exposer en permanence dans le nouvel Etat juif. Mais l’Israël allait devoir affronter deux sérieux obstacles.
Lors de la guerre d’indépendance d’Israël en 1948, la Jordanie a pris la main sur la région où la découverte eut lieu, et Israël était empêché d’accéder directement aux manuscrits. De plus, beaucoup de professeurs chrétiens qui avaient accès aux manuscrits ont interdit aux érudits juifs d’examiner les parchemins: un cas d’antisémitisme académique.
Mais après sept ans d’exclusion, Israël a vu une rare opportunité naître en juin 1954, lorsqu’apparut une petite annonce dans le Wall Street Journal: «Manuscrits bibliques datant d’au moins 200 ans av. J.-C. à vendre. Un cadeau idéal pour une institution scolaire ou religieuse de la part d’un individu ou groupe.»
Les autorités israéliennes, désirant se procurer les manuscrits de l’annonce, savaient que Mar Samuel, le métropolitain du monastère syrien de Jérusalem, avait placé les quatre manuscrits dans un coffre-fort au New Jersey. Or, ces manuscrits étaient-ils authentiques? Le dilemme fut résolu le 1er juillet 1954, lorsque le professeur Harry M. Orlinsky du Hebrew Union College, Jewish Institute of Religion, sous le pseudonyme de «Mr Green», a rencontré le représentant du métropolitain Samuel au Waldorf Astoria Hotel à New York.
Né à Owen Sound, Ontario, Harry Orlinsky était un excellent casting pour ce rôle d’agent secret. On conseilla à «Mr Green», un érudit religieux de réputation mondiale, de garder autant que possible le silence lorsqu’il visionnerait les manuscrits qui comprenaient le livre biblique d’Esaïe. Ce qui n’a pas dû être facile puisque je peux divulguer que Harry Orlinsky était célèbre pour sa merveilleuse loquacité. C’est sous son tutorat expert que j’ai rédigé ma thèse rabbinique sur «La transmission du manuscrit de la mer Morte d’Esaïe» en utilisant des photocopies des manuscrits.
«Mr Green» examina soigneusement les fragments et fut convaincu qu’ils étaient réels. Q la suite de la réunion clandestine au Waldorf Astoria, Harry Orlinsky appela un numéro de téléphone spécial en donnant un seul mot de code: «L’Chaim» (en hébreu, «à la vie», utilisé lors de toasts), pour confirmer l’authenticité des manuscrits.
Le gouvernement israélien a pu acheter les quatre manuscrits pour 250'000$ (aujourd’hui environ 2.2 millions de dollars, 1,9 million de francs) via un intermédiaire américain. L’achat a porté un coup dur à la mise à l’écart politique et académique antisémite ou anti-Israël concernant les manuscrits de la mer Morte. Les manuscrits examinés par «Mr Green» sont devenus une pièce centrale dans le sanctuaire du musée du livre à Jérusalem, une attraction à ne pas manquer pour les visiteurs en Israël.
Depuis 1947, près de 850 manuscrits de la mer Morte ont été découverts dans le désert de la Judée. 30% des manuscrits constituent des livres bibliques âgés de plus de 1100 ans en plus que les autres textes existants de la Bible hébraïque, les écrits que les chrétiens nomment «Ancien Testament».
Un autre tiers des manuscrits sont des textes religieux juifs non inclus dans la Bible, et le dernier tiers décrivent les règles et la vie quotidienne d’une communauté unique qui s’était physiquement séparée de la vie juive «décadente» à Jérusalem et dans d’autres régions d’Israël antique. Cette société isolée dans le désert mit l’accent sur l’ascétisme et la «pureté» spirituelle. En 68 apr. J.-C., l’Empire romain a physiquement détruit la communauté, mais non sans que le groupe juif ancien cache des centaines de manuscrits dans des cavernes proches. Les conditions arides de la région ont contribué à la conservation des manuscrits.
Le professeur de l’université de New York, Lawrence H. Schiffman, une autorité sur les manuscrits de la mer Morte, affirme que la datation au carbone 14 montre clairement que les textes anciens prédatent le christianisme. Aussi, ils ne contiennent aucune référence claire ou prédictive à Jésus, Jean le Baptiste ou aux auteurs des Evangiles. Lawrence Schiffman ajoute cependant: «Les manuscrits nous aident à comprendre le caractère du judaïsme qui existait quand le christianisme est né. Beaucoup de ce que nous pensions provenir d’influences étrangères s’avère aujourd’hui provenir de racines juives».
Aujourd’hui, les manuscrits de la mer Morte peuvent être visionnés sur internet. Ils montrent sous une autre lumière la vie juive et les pratiques religieuses durant les trois siècles avant la montée du christianisme, et confirment la justesse fondamentale des écrits bibliques. La datation des anciens manuscrits brise aussi les fausses affirmations politiques palestiniennes d’aujourd’hui que les juifs sont des «intrus» ou «nouveaux venus» dans la Terre sainte.
En tant qu’adepte de romans policiers et d’espionnage, je place les exploits clandestins de «Mr Green» dans la même catégorie que ceux de James Bond et Gabriel Allon.