Le «divorce instantané» banni en Inde: certains s’en réjouissent, d’autres s’inquiètent

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Le «divorce instantané» banni en Inde: certains s’en réjouissent, d’autres s’inquiètent

Siddhant Mohan
7 septembre 2017
Le gouvernement indien a supprimé la validité du «talaq», une pratique religieuse qui permet à un homme musulman de divorcer de sa femme en prononçant trois fois ce mot

Photo: © RNS/AP Photo/Tsering Topgyal

(RNS/Protestinter)

Varanasi, Inde — De nombreuses femmes musulmanes en Inde applaudissent cette semaine la décision de la cour de bannir le «divorce instantané», ou la pratique musulmane par laquelle un homme peut dissoudre son mariage en disant «talaq» trois fois, ce qui signifie «je te divorce». Cependant, certains se demandent si les musulmans dans les régions pauvres et rurales vont respecter la décision ou même en être informés. D’autres encore décrient cette interdiction comme une nouvelle violation des droits religieux musulmans dans une nation ou le nationalisme hindou croissant est déjà en train de secouer la grande minorité d’Indiens qui pratiquent l’islam.

La cour a banni, fin août, ce que l’on connaît sous le nom de «triple talaq», après avoir revu des cas où des femmes musulmanes témoignaient de leur honte et leur misère après que leurs ex-maris les ont «divorcées» – y compris par SMS – dans l’espace de quelques secondes. «Je connais des cas de ‘talaq’ qui ont fini par ruiner la fille et sa famille», souligne Saba Sheikh, une étudiante de 25 ans, à Varanasi. «Grâce à ce verdict, j’ai moins de craintes par rapport au fait que mon frère et mon père me donnent en mariage».

Les femmes dans des situations dramatiques

Afreen Rahman, une des sept femmes musulmanes qui a présenté son cas devant la cour, a affirmé qu’elle s’était tournée vers le système judiciaire parce qu’elle n’avait plus d’autre recours. Il y a trois ans, son frère avait fait un emprunt bancaire pour payer la dote de son mariage. Mais pendant leur union d’un an, dit-elle, son mari l’a battu parce que la somme n’était pas aussi élevée que ce qu’il attendait. Il l’a bannie de la maison et l’a répudiée en lui envoyant une lettre avec le mot «talaq» écrit trois fois. Le décès de ses parents – sa mère suite à un grave accident – et le suicide de son frère à cause de son divorce l’ont plongée dans un état de désespoir.

«Nous avons consulté tous les religieux musulmans et organisations possibles», se souvient-elle. «Tout le monde nous a dit que cette méthode de divorce n’était pas juste une question d’éthique, mais un acte valable». En Inde, surtout dans les régions rurales et les plus petites villes, une femme et sa famille sont non seulement déshonorées après un divorce, mais l’ex-épouse peinera terriblement à se remarier. Le «talaq» est banni dans certaines régions du monde musulman et n’est pas mentionné dans le Coran. On le retrouve dans des écrits considérés comme sacrés, mais de moindres autorités.

Syeda Fatima a reçu un SMS court via la plateforme WhatsApp de la part de son mari en juillet 2014 et le divorce fut instantané. «Au début, j’ai cru à une mauvaise blague», raconte Fatima âgée de 32 ans, qui s’est mariée en 2012 dans le Bhopal en Inde centrale. «Je me suis rendu compte que c’était réel quand j’ai retrouvé mon mari. Beaucoup d’entre nous ont souffert. Je trouve que c’est une bonne chose que les générations à venir n’ont plus à en souffrir», ajoute Fatima.

Une atteinte aux droits religieux

Certains musulmans indiens n’acceptent pas l’interdiction du «talaq» et voient en cela une nouvelle atteinte à leurs droits religieux. Malgré tout, les 172 millions de musulmans en Inde restent une minorité dans un pays dirigé depuis trois ans par le Premier ministre Narendra Modi, chef d’un parti pro-hindou et qui favorise les politiciens qui promeut une rhétorique anti-musulmane. Tandis que les attaques sur les musulmans par des milices hindoues croissent, les pratiquants de l’islam en Inde sont de plus en plus perturbés.

Certains musulmans pensent que l’interdiction de la cour est une violation de la loi islamique. «Toute tentative pour piétiner les droits religieux est inadmissible, nous allons continuer à nous battre contre de telles tentatives», s’insurge l’organisation musulmane Jamiat Ulama-e-Hind, une des plus importantes en Inde. Certains musulmans qui ne défendent cependant pas le «talaq», admettent que ce n’est pas au gouvernement de décider, mais aux musulmans. En Inde, généralement, les communautés religieuses minoritaires peuvent suivre leurs propres règles quant au mariage et au divorce.

Said Kamal Faruqui, membre du Conseil de droit privé musulman pour toute l’Inde, une organisation qui a défendu le «talaq» devant la cour estime que «la décision de la cour a affecté les droits de la minorité religieuse dans la pratique de leur religion et que cela aura de vastes répercussions. Nous pensons que ce jugement viole nos garanties constitutionnelles». Les chefs du gouvernement nient tout favoritisme hindou dans la décision de trois contre deux rendu par un panel de cinq juges, y compris un juge musulman qui a voté contre cette décision.

Une question d’égalité des sexes

Ce verdict devrait être considéré au-delà de la question de la division communautaire puisque c’est une question de justice et d’égalité pour les sexes», souligne le ministre indien du droit, Ravi Shankar Prasad. Or, certains s’inquiètent que, malgré la loi, les divorces instantanés continuent. «Le verdict de la Cour Suprême doit atteindre les familles rurales indiennes, où les gens ne connaissent pas ces lois», ajoute l’activiste Naseem Akhtar avec Bhartiya Muslim Mahila Andolan, un groupe qui défend les femmes musulmanes, et qui aide depuis six ans les femmes divorcées par le procédé du «talaq».

«J’ai demandé aux instances religieuses de répandre l’information», ajoute Naseem Akhtar, qui a aussi aidé Afreen Rahman à écrire sa requête contre son divorce. «Elles pourraient le faire facilement en l’annonçant depuis les mosquées au moment des prières quotidiennes». Mais l’avocate, Flavia Agnes, spécialiste en droit matrimonial et procédures de divorce, reste pessimiste quant à la réalité que l’interdiction soit pleinement imposée, notamment parce que les autorités islamiques sont réticentes à répandre une décision qui les offense.

En plus, cela impliquerait que chaque cas de «talaq» soit contesté devant les tribunaux, dit-elle, ce qui serait difficile ou impossible pour les femmes démunies. Selon Flavia Agnes, le verdict ne va rien changer. «Supposons qu’un mari prononce le divorce, la femme doit alors aller au tribunal, se procurer un avocat, juste pour prouver que le mari a tort». De son côté, Fatima Feroze, une étudiante de 27 ans à New Delhi, continue de voir dans ce verdict un espoir pour les femmes musulmanes. «On accuse souvent la communauté d’être arriérée, de maltraiter les femmes. Ce verdict va aider à donner une autre vision de l’islam et mettre fin à la souffrance des femmes».