Pourquoi poser la question du genre de Dieu fait-il polémique ?

Les stéréotypes influencent-ils l’image que nous nous faisons de Dieu? / ©iStock/Kemter
i
Les stéréotypes influencent-ils l’image que nous nous faisons de Dieu?
©iStock/Kemter

Pourquoi poser la question du genre de Dieu fait-il polémique ?

Camille Andres et Matthias Wirz
1 mars 2022
Décryptage
Une réflexion sur la manière de genrer Dieu s’est ouverte dans l’Eglise protestante genevoise. Un travail très critiqué, car, contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, il est tout sauf anecdotique.

LES FAITS

Le 12 novembre 2021, la Compagnie des pasteurs et des diacres de Genève tient son assemblée mensuelle sur le thème «Dieu au-delà du genre?». Le culte préalable utilise une liturgie ouverte à la multiplicité du genre. Un document de travail est rédigé. «Proposition exploratoire», il n’a aucune valeur normative. Le 16 janvier, un article de Protestinfo, repris par d’autres médias, évoque ce «chantier». Les articles et commentaires pleuvent, majoritairement critiques sur l’initiative.

LE CONTEXTE

La théologie féministe chrétienne date des années 1970. Mais la question du genre de Dieu, restait considérée comme anecdotique par les Eglises. Le renouveau féministe des années 2010 a relancé le sujet, provoquant un retour de flamme conservateur. 

L’ANALYSE

Les protestants n’ont pas vu venir la «démocratie sexuelle»

Ce concept, proposé par le sociologue parisien Eric Fassin, désigne un changement de paradigme: les questions de genre et de sexualité dans leur diversité intègrent désormais le champ du débat démocratique, le droit, et non celui de la morale comme par le passé. «Poser la question du genre de Dieu c’est interroger l’hétéropatriarcalité du protestantisme, qui, moins visible que celle du catholicisme, n’en est pas moins réelle», observe Josselin Tricou, maître-assistant en sciences sociales des religions à l’Université de Lausanne.

Wokisme ou anticipation?

Les détracteurs de la démarche reprochent à l’Eglise protestante de Genève (EPG) de céder aux sirènes du wokisme, terme englobant aujourd’hui les mouvements sociaux progressistes. Si la réflexion de l’EPG est bien née de la grève des femmes de 2019, il s’agit d’une véritable démarche herméneutique: «Les jeunes générations ont largement intériorisé l’évidence de l’égalité entre les sexes et les sexualités. Le langage actuel des Eglises ne passera sans doute plus d’ici dix ou vingt ans. Il s’agit avant tout pour l’institution de traduire la foi dans le langage de demain», estime Josselin Tricou. 

L’Eglise de Genève, pionnière

Dans l’Eglise de Genève, la Compagnie des pasteurs et des diacres travaille en lien étroit avec la Faculté de théologie de Genève, dont les enseignant·es sont membres de droit de la Compagnie. Celle-ci peut donc se comprendre comme un laboratoire en théologie.

Démasculiniser: un terme inflammable

Cette «formule-choc» apparue dans les médias a enflammé les discussions. Il insinue un effacement systématique du genre masculin dans le texte. «Ce terme peut atteindre des gens dans leur intériorité, sous-entendre qu’on enlève à un groupe de personnes ce qui fait leur masculinité. Il peut être perçu comme très agressif», pointe Lauriane Savoy, assistante en théologie à l’Université de Genève. On est bien loin de la démarche de l’EPG, qui vise simplement à élargir les manières de désigner Dieu. De plus, réduire la place du masculin, c’est aussi, symboliquement, faire perdre une forme d’autorité symbolique à l’Eglise dans une société où le masculin reste associé à la supériorité et à la force.

Changer les habitudes

Au-delà d’une démarche théologique, le culte est «un ensemble de pratiques corporelles routinisées», rappelle Josselin Tricou. Nombre de personnes y viennent «avec des attentes implicites de lâcher-prise, en se remettant dans les mains du rite». Changer quelque chose dans cet espace de confort revient à bouleverser ces habitudes ancrées, devenues une part d’identité.

La linguistique est politique

En psychologie expérimentale, il est établi qu’une forme grammaticale masculine, telle qu’utilisée pour décrire Dieu depuis des siècles, génère des interprétations masculines, et non neutres ou féminines. Mais comment la construction d’un imaginaire de Dieu, imprégné par la culture, la société et l’époque, influe-t-elle sur une relation spirituelle, intime et individuelle? Peut-on mettre en rapport les droits de personnes ou de minorités avec le genre divin? Ces questions restent débattues.