Pasteurs: une espèce menacée

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Pasteurs: une espèce menacée

Alors que la génération des baby boomers s’apprête à partir à la retraite, la relève pastorale manque à l’appel, tandis que de nouveaux métiers d’Eglise séduisent de plus en plus.

A l’heure de la rentrée universitaire, le regard des Eglises réformées romandes se tourne vers les filières de théologie de Lausanne et de Genève. Leur préoccupation? Savoir si leurs rangs suffiront à pallier la pénurie annoncée de pasteurs, suite au départ à la retraite des baby boomers. Pour l’année académique 2024-2025, le nombre des nouveaux étudiants inscrits en théologie s’élève à huit, répartis équitablement entre Lausanne et Genève. Un effectif auquel s’ajoutent vingt nouveaux inscrits dans l’offre à distance. Du côté des diplômes, l’année précédente aura validé six masters (cinq à Genève, un seul à Lausanne) – titre nécessaire pour s’engager dans la formation pastorale à proprement parler.

«La situation est prise très au sérieux par les Eglises», formule Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Eglises réformées romandes (CER). Ce d’autant plus, ajoute-t-il, qu’un «nombre significatif d’étudiants en théologie renoncent, en cours de route, à un projet pastoral».

Forte concurrence

Du côté des Eglises cantonales, le manque de relève se fait déjà ressentir. «Notre Eglise doit clairement s’adapter pour faire face à cette pénurie de pasteurs, que nous observons depuis un certain temps déjà», indique Laurence Bohnenblust-Pidoux, conseillère synodale de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV). «Il s’agit d’en prendre acte et de trouver des solutions aux besoins du terrain.»

«Nous constatons qu’il est de plus en plus difficile de trouver des candidats pour compenser les départs», témoigne également Stephan Kronbichler, président de l’Eglise réformée évangélique du Valais (EREV). Et d’étayer: «Pour un poste à repourvoir début 2026, nous n’avons à ce jour pas reçu une seule candidature, trois mois après la publication de l’offre d’emploi.»

Le constat est le même du côté de l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel (EREN), comme en atteste son président Yves Bourquin: «Les paroisses n’ont souvent plus le choix entre plusieurs candidats et s’estiment heureuses lorsqu’une candidature convenable arrive.» Ce dernier pointe également «une certaine concurrence entre les Eglises cantonales, qui toutes sont dans la même situation». Qualifiant son Eglise de «non concurrentielle en matière de salaires des pasteurs face aux Eglises liées financièrement à l’Etat», il remarque que «les  pasteurs de l’EREN font parfois le choix de prendre un poste dans une Eglise voisine».

Diagnostic des médecins de famille

Bénéficiant par le passé d’un statut hautement valorisé, le métier de pasteur semble ne plus faire rêver les jeunes générations. «Le monde professionnel a beaucoup évolué: on ne pratique souvent plus le métier qu’on avait appris au sortir de l’école», pose Pierre-Philippe Blaser, président de l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF). De fait, se former lors de sa vingtaine au pastorat peut faire peur à «des personnes souhaitant garder une certaine polyvalence pour l’avenir de leur carrière». Jean-Baptiste Lipp «observe en outre, avec d’autres cadres, que les jeunes gens n’ont plus vraiment envie d’endosser cette charge du pasteur, qui est devenue pour beaucoup rédhibitoire». Il en veut d’ailleurs pour preuve que «de plus en plus de pasteurs préfèrent également rejoindre des postes d’aumôniers (dans les hôpitaux, les prisons, etc.) plutôt qu’être en paroisse».

En cause également, selon Stephan Kronbichler, «la complexité du métier de pasteur et les conditions de travail». Et de tirer «un parallèle avec la pénurie des médecins de famille généralistes, qui doivent également accepter un engagement professionnel qui impacte souvent leur vie privée et familiale». Or, souligne Pierre-Philippe Blaser, «la génération Z est très attentive à la qualité de vie, notamment à l’équilibre entre vie privée et professionnelle».

Remèdes miracle?

Pour répondre aux besoins de leurs institutions, certaines Eglises se sont ouvertes à d’autres profils en créant un nouveau statut, baptisé selon les cantons «ministère émergent», «chargé de ministère» ou encore «animateur d’Eglise». Ces postes rencontrent depuis quelques années un réel succès, suscitant d’ailleurs un certain nombre de candidatures spontanées tant sur le canton de Vaud que celui de Genève.

«Les chargés de ministères font une entrée en force depuis quelques années en apportant des compétences et une expertise propres à certains domaines, comme par exemple sur les questions LGBTIQ+ ou la jeunesse», atteste Chantal Eberlé, présidente de l’Eglise protestante de Genève (EPG). Et de commenter: «Nous sommes étonnés de voir l’intérêt que continuent à susciter les métiers d’Eglise, contrairement à toutes les prévisions.»

La Vaudoise Laurence Bohnenblust-Pidoux évoque également l’intérêt de ces nouvelles «compétences métiers» pour les Eglises, «les animateurs d’Eglises venant pour beaucoup de professions sociales, de la santé et de l’enseignement». «En général, ils s’engagent dans un poste d’aumônerie, plus rarement dans un poste paroissial», précise encore Claudia Bezençon, référente métier au sein de l’EERV. «L’intérêt exprimé est souvent celui de s’engager professionnellement pour l’Eglise, sans devoir entrer dans un ministère consacré qui parfois peut impressionner.»

Devoir d’exigence

Du côté de l’Union synodale Berne-Jura-Soleure (Bejuso), la présidente Judith Pörksen Roder confie que ses Eglises «envisagent également la possibilité de créer une nouvelle profession», tout en insistant sur le fait qu’il «faut en même temps tout faire pour que les longues études de théologie et le ministère pastoral ne perdent pas de leur attrait et conservent leur fonction importante dans l’Eglise grâce à une formation de qualité». Un souci que partage également Pierre-Philippe Blaser qui plaide «pour que ces nouveaux profils de poste ne soient pas intégrés dans une simple logique d’interchangeabilité».

Surgit en effet une interrogation: plus accessibles, ces métiers d’Eglises ne risquent-ils pas, au final, de détourner des vocations de personnes qui se seraient autrement lancées dans le pastorat? «C’est effectivement une préoccupation majeure», estime Stephan Kronbichler. «Nous sommes soucieux de ne pas dévaloriser la formation des pasteurs et des diacres, qui est longue et exigeante. A l’EREV, nous veillons donc à ne pas ouvrir une voie au rabais, mais cherchons plutôt à offrir l’opportunité de travailler pour l’Eglise à des personnes pour qui ce chemin est d’emblée exclu.» A l’instar de leur «unique poste de visiteuse de personnes âgées dans les homes et à domicile».

Le président fribourgeois Pierre-Philippe Blaser dit regretter «que dans ce contexte, les professions d’Eglise se replient un peu sur des spécialisations, qui les rendent moins polyvalentes et socialement moins lisibles». Et de confier d’ailleurs avoir été «déçu que cette discussion de fond entre Eglises ait été plombée au motif que les pasteurs ou les diacres ne voulaient pas lâcher leurs privilèges, alors qu’il s’agissait de penser une articulation inventive entre l’ancien statut et les nouveaux.»