Abus: les réformés s’en remettent à la Confédération

A Neuchâtel, après des débats passionnés, les délégués des Eglises réformées de Suisse ont décidé de contredire le projet d’enquête soumis par leur Exécutif. / EERS
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A Neuchâtel, après des débats passionnés, les délégués des Eglises réformées de Suisse ont décidé de contredire le projet d’enquête soumis par leur Exécutif.
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Abus: les réformés s’en remettent à la Confédération

A Neuchâtel, après des débats passionnés, les délégués des Eglises réformées de Suisse ont décidé de contredire le projet d’enquête soumis par leur Exécutif.

Les réformés de Suisse ont voté. Ce mardi à Neuchâtel, au terme d’un long débat passionné et parfois sous haute tension qui avait débuté la veille, les délégués de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) en ont décidé ainsi: leur enquête sur les abus en population générale doit être initiée par la Confédération.

Menée par treize Eglises alémaniques réunies en coalition, dont les Eglises appenzelloises, zurichoise et lucernoise, la fronde qui s’opposait au projet proposé par le Conseil de l’EERS (Exécutif) a largement réuni face à la contre-proposition vaudoise, qui faisait office de «voie du milieu».

Pour rappel, la proposition soumise au vote des délégués consistait notamment en un large sondage sur la population suisse (20’000 personnes), pour un coût estimé à 1,6 million de francs. Ce format n’incluait pas d’ouvrir les archives des Eglises réformées de Suisse, estimées trop difficiles à rassembler, et devait donner ses résultats en 2027. S’y ajoutait l’élaboration d’un service de contact national externe, que l’EERS est déjà en train de mettre en place, et que la contre-proposition alémanique ne déboulonne toutefois pas.

«Un examen de conscience global»

«Le Conseil de l’EERS s’engage auprès de la Confédération pour la réalisation d’une étude sur les abus dans l’ensemble de la société», formule ainsi l’amendement de la coalition alémanique qui fera foi. «La Confédération doit prendre en charge cette étude. Si notre Eglise s’en charge, nous n’aurons pas de recul, ni dans la collecte des résultats ni dans leur analyse», défendait à la tribune Esther Straub, présidente de l’Eglise réformée zurichoise. «L’abus sexuel doit être étudié par toute la société dans un grand examen de conscience global.» 

Une position contrée par la présidente de l’union d’Eglises Berne-Jura-Soleure, Judith Pörksen Roder, qui enjoignait les délégués à suivre le Conseil: «Ce projet pourrait être financièrement soutenu par la Confédération, certes, mais l’Etat n’a pas d’intérêt à enquêter sur les spécificités des milieux religieux et spirituels. C’est à nous de nous lancer.»

«Ne vous y trompez pas. Nous allons même plus loin que ce demande le Conseil!», s’est exclamée Lilian Bachmann, présidente de l’Eglise réformée lucernoise. En détaillant la proposition, elle lève un malentendu: «Notre idée comprend tout de même la réalisation d’une enquête interne, à diligenter très rapidement. Celle-ci consisterait, pour un coût de 100’000 francs, en une série d’interviews menées durant quatre à six mois par un groupe de travail à définir.»

Imprécisions et inquiétude

La proposition alémanique n’était pas la seule à contrer le Conseil. D’autres amendements, principalement soutenus par les délégués romands, étaient proposés par l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), qui ne s’opposait toutefois pas à l’étude dite «en population générale» du Conseil, mais repoussait son lancement à une année au minimum.

Anne Abruzzi, présidente des réformés vaudois, voyait encore trop de «flou» dans les modalités de l’étude de l’Exécutif. Ses amendements demandaient ainsi la constitution d’une «commission consultative des parties prenantes» et un «rapport complémentaire» contenant notamment un «calendrier des démarches», «un avis juridique concernant le type d’enquête à mettre en place» ou encore «un justificatif du coût de l’étude». A la tribune, elle a également plaidé pour «un meilleur examen sur la façon dont l’EERS communiquerait sur les résultats d’une pareille étude».

Pas réaliste

Au final, le projet retenu pose donc des questions de faisabilité. Le chercheur de l’Université de Lucerne, Anastas Odermatt, qui a imaginé l’étude que proposait le Conseil, ne voit d’ailleurs pas comment remettre l’enquête à la Confédération. «Cela n’est pas réaliste. La Confédération a d’autres choses à faire et arguerait de la séparation entre Eglises et Etat si on lui confiait une telle enquête», nous a-t-il exprimé.

Du côté des Vaudois, la déception est grande. La déléguée Aude Collaud, pasteure et aumônière jeunesse, est amère: «Les atteintes à l’intégrité sexuelle ou spirituelle sont nombreuses dans l'Eglise et des cas vont encore éclater. En souhaitant relayer à d’autres le soin d’enquêter de façon générale dans la population, le Synode de l’EERS a choisi de ne pas investir dans la recherche de la vérité.»

Rita Famos, la présidente du Conseil de l’EERS, s’est dite toutefois satisfaite par l’option retenue: «L’EERS condamne les abus et les Eglises membres vont continuer à renforcer leurs propres systèmes de protection contre ces derniers. Et nous donnerons l’impulsion voulue à la Confédération afin qu’elle réalise une enquête sur la société toute entière.»