Stratégie de direction et jeux de pouvoirs
Vendredi 14 juin, jour de la grève des femmes, la notion d’égalité était sur toutes les lèvres. C’est pourtant la question du pouvoir, au sein de l’Église protestante de Genève, qui a semé la discorde, lors de la dernière session du Consistoire, les 13 et 14 juin. Suite à la démission de Michel Châtelain, responsable des ressources humaines et membre de la direction, le Conseil du Consistoire (CC) a osé ouvrir le débat sur la pertinence de l’actuel organigramme de l’EPG avec une direction tricéphale.
«Nous nous sommes interrogés, s’il fallait alors simplement le remplacer, poste pour poste, ou si cette démission n’était pas l’occasion d’affiner, voire de changer notre modèle de gouvernance», exprime alors Emmanuel Fuchs, président de l’EPG, avant de donner la parole à Laurent Schutz, consultant externe.
Bien que différents, les deux modèles de fonctionnement, proposés par ce partenaire de longue date de l’EPG, présentaient comme points de convergence la «création d’un collège de direction», «la montée en puissance de cette direction élargie», parallèlement au «retrait du Consistoire sur certains objets».
Question d’autorité
Une évolution des rôles qui n’a de loin pas convaincu tous les membres de l’assemblée présente vendredi dernier. A commencer par Valérie Chausse, responsable des finances, de l’immobilier et de l’informatique et membre de la direction, qui a vivement critiqué ces propositions soutenues par le CC, rappelant – articles de la Constitution à l’appui – que l’autorité n’était pas du ressort de la direction : «La direction n’a pas d’autorité, elle doit juste conduire le navire, selon les décisions stratégiques du Consistoire. C’est ça la séparation des pouvoirs!»
Dans cette remise à plat total de l’organigramme, les rapports de force entre Consistoire et CC seraient également modifiés, principalement dans le sens d’une perte de pouvoir pour le premier. «On ne doit pas glisser vers un système pyramidale, soit synodal dans le sens le plus strict du terme», énonce alors à son tour Marc Jeanneret, délégué de la région Salève. Quant à Gilles-Olivier Bron, délégué de la paroisse de Cointrin-Avanchets, il serait selon lui hautement plus approprié de «supprimer le CC et de faire simplement du président de l’EPG, le président du Consistoire».
Une «merveilleuse usine à gaz»
Autre pomme de discorde, la manifeste complexité de ce nouveau modèle. «Est-ce qu’on ne serait pas en totale contradiction avec le mandat de simplification?» interroge Laurence-Isaline Stahl Gretsch, conseillère de paroisse à Carouge. Et d’évoquer l’élaboration d’une «magnifique usine à gaz, mais une usine qui ne va jamais fonctionner».
Roger Durand, de Lancy-Grand-Sud, enchaîne: «J’ai impression que les organes de décision de l’EPG ne font que nous compliquer la tâche, alors que nous avons à régler des problèmes tous les jours.» Même sentiment du côté de la paroisse de Bernex-Confignon: «Nous agissons au quotidien et nous ne savons plus quels sont les procédures en vigueur. Nous sommes perdus», confie Betty Riedweg, sa déléguée.
Alexandra Deruaz, responsable de la communication et de la recherche de fonds et co-directrice de l’EPG, souligne alors: «La question de la complexité, bien réelle, m’interroge aussi. Certes, ce modèle n’est pas parfait, mais il a l’avantage de réunir autour de la table les différentes personnes concernées par la mission, alors qu’aujourd’hui, sur ce plan, la direction n’est pas légitime sur le terrain» Et d’insister: «La mission est le vrai défi aujourd’hui de nos Églises.» Sur quoi, Elisabeth Schenker, de la paroisse de Carouge, a rétorqué: «Notre système presbytéral est une force. Votre engagement sur le terrain est immense, c’est là qu’est la mission.»
Une confiance éclatée
Le nouveau modèle de gouvernance devait également relever le défi, sur le papier du moins, de restaurer la confiance. Or, cette présentation faite par le consultant, après de nombreux bruits de couloirs, a littéralement mis le feu aux poudres. «La confiance se construit quand on a les bonnes personnes, pas avec la structure», formule André Assimacopoulos.
Charles de Carlini, vice-président du CC, souhaite rectifier le sentiment visiblement majoritaire au sein de l’assemblée: «Pour rassurer ceux qui pensent que le CC a tout préparé, qu’il a une idée derrière la tête, je peux le dire clairement: ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de volonté occulte de vous imposer quelque chose.» Et de poursuivre: «Le rapport n’est pas parfait, mais nous avons essayé de vous présenter quelque chose.»
Prenant à son tour la parole, Alain de Felice, membre également du CC, fustige ces «procès d’intention». Marcel Christinat du Pôle Solidarité exprime son malaise, largement partagé dans l’assemblée: «Je vous adresse un plaidoyer pour qu’on en revienne au bon sens et à la sagesse. Là, on dérape totalement.»
Le Conseil du Consistoire a promis de revenir vers les délégués en septembre. D’ici là, le poste de responsable des ressources humaines ne sera pas repourvu. Quant à l’avenir de l’actuel modèle de gouvernance, il reste maintenu pour l’heure. A noter encore, que depuis 2005, l’EPG a déjà changé trois fois d’organisation…
L’heure des comptes
Lors de cette rencontre, les délégués ont également accepté à l’unanimité les comptes 2018-2019. «Les comptes sont dans le noir pour la cinquième année consécutive et le nombre de donateurs a augmenté. Cela nous permet de lever un peu le nez du guidon», sourit Emmanuel Fuchs, président de l’exécutif. Depuis 2013, l’EPG poursuit un plan de redressement qui porte ses fruits. «La réduction des dépenses et l’augmentation des dons sont les principaux objectifs de ce plan. À ce jour, l’assainissement de la caisse de pension est terminé. Il ne faut toutefois pas s’endormir», relève Valérie Chausse, responsable des finances de l’EPG. L. V.
Vers une pastorale inclusive
Fruit d’un travail de concertation important, le rapport sur la pastorale inclusive a été accepté à une majorité évidente, sans opposition, vendredi en début de session. Il a d’ailleurs reçu les félicitations de nombre de délégués, qui l’ont trouvé aussi dense que pondéré.
«Je pense qu’on est mûrs pour passer à présent aux actes et enregistrer le fait que ces différences jugées longtemps choquantes doivent être accueillies avec humilité», exprime Laurent Extermann. Marc Jeanneret remercie également la commission pour ce travail «qui permet de rentrer dans le débat», même s’il souligne que, de son point de vue, «il y a, au niveau de la base, encore un grand chemin à faire». Emmanuel Fuchs affirme conclut quant à lui en formulant avoir apprécié «le ton prudent et décidé» de ce document. Et d’ajouter: «Cette question ne doit pas envahir tout le débat en Église, mais y trouver sa juste place.» A.S.S