Les évangéliques, en instance de reconnaissance?
Ce mardi 8 avril, la Fédération évangélique vaudoise (FEV) a remis officiellement au Conseil d’État sa demande de reconnaissance d’intérêt public. Laquelle devra encore être examinée en détail par la Commission consultative en matière religieuse et, en cas de validation, pourrait alors aboutir, au plus tôt dans cinq ans, à un projet de loi. Qui serait à son tour soumis au Grand Conseil et à référendum...
Entamé en 2007 déjà, ce long processus de reconnaissance semble en effet s’apparenter à un véritable parcours du combattant pour les évangéliques vaudois. A défaut d’être reconnues comme des institutions de droit public, comme le sont les communautés rattachées aux Églises catholique et réformée vaudoises, les assemblées évangéliques relèvent du droit privé, et ne peuvent donc prétendre aux mêmes prérogatives, comme leur financement par les deniers publics ou encore la mise à disposition de lieux de culte, par exemple.
«Des conditions strictes»
Suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution vaudoise, au 1er janvier 2007, la FEV a immédiatement montré son intérêt pour cette possibilité inédite offerte aux différentes communautés religieuses du canton d’être reconnues comme d’intérêt public. Pour pouvoir prétendre à cette reconnaissance, la communauté requérante doit notamment s’engager à respecter le cadre légal cantonal et fédéral, mais aussi répondre au préalable «à des conditions strictes», comme le rappelle le communiqué du Canton, telles que par exemple la transparence financière, le respect de la paix confessionnelle, l’existence d’une activité cultuelle sur le territoire cantonal, la participation au dialogue œcuménique et interreligieux, une durée d’établissement en terres vaudoises supérieure à trente ans et un nombre suffisant de fidèles résidant dans le canton.»
«Cette offre tombait à point nommé pour les évangéliques», stipule Olivier Cretegny, président la FEV. «C’est d’ailleurs dans cette perspective que le mouvement a cherché à se fédérer pour être mieux pris en considération par les médias, les autorités et les Églises historiques.» La Fédération évangélique vaudoise est alors créé en 2003. Loin de représenter l’ensemble des évangéliques du canton, elle rassemble cependant une cinquante d’Églises, elles-mêmes rattachées à cinq dénominations aux sensibilités variées, à savoir la FREE (Fédération romande des Églises évangéliques), les Églises évangéliques apostoliques romandes, l’Union des Églises évangéliques de Réveil, l’Association des postes de l’Armée du Salut du canton de Vaud ainsi que l’Association vaudoises d’Églises évangéliques.
Participer au vivre-ensemble
L’enjeu, pour ces évangéliques qui ont choisi de s’inscrire davantage dans le débat public? «Selon la loi sur la reconnaissance, nous pourrons exercer officiellement un ministère d’aumônerie dans les établissements hospitaliers et pénitentiaires», explique Olivier Cretegny. Et d’ajouter: «Nous serons aussi heureux d’être reconnus comme participants dans ce canton à la transmission de valeurs fondamentales, comme la famille, par exemple, le respect mutuel, la tolérance… Nous souhaitons vraiment participer activement au vivre-ensemble de notre société.» En outre, l’État et les communes sont tenues de consulter les communautés reconnues sur tout sujet qui les concerne.
«Cette reconnaissance symbolique est tout sauf négligeable», commente Pierre Gisel, membre de la Commission du Conseil d’État en matière religieuse (CCMR): «Ces Églises évangéliques pourront s’en prévaloir dans telle ou telle situation de divergences, voire de conflits avec l’État. D’où l’attention portée au dossier.» Des différends pourraient par exemple intervenir lors d’appel à la désobéissance civile, comme cela a eu lieu aux Etats-Unis par rapport au mariage gay, ou quant à des formulations de mots d’ordre, en cas de votation, jugés contestables.
Après avoir remis au délégué aux affaires religieuses Éric Golaz six classeurs fédéraux contenant les statuts, comptes et procès-verbaux sur trois ans de tous leurs membres, la FEV a reçu il y a dix-huit mois une déclaration liminaire à signer. C’est précisément celle-ci qui «a nécessité passablement de dialogue avec nos membres et les représentants de l’État pour éclaircir certains sujets», exprime Olivier Cretegny. Une petite dizaine de membres de la FEV ont alors décidé de se retirer du processus. En cause notamment, une clause prohibant les discriminations basées sur «l’orientation sexuelle», qui ne figure pas dans les déclarations liminaires soumises aux autres communautés candidates à la reconnaissance, comme les Anglicans par exemple.
Deux poids, deux mesures?
Pierre Gisel confirme en effet que la CCMR se montrera spécifiquement plus attentive sur «la question de l’homosexualité, ainsi que celle de la reconnaissance des savoirs en leur état scientifique actuel, qui touche au créationnisme».
Du côté de l’État, on assume parfaitement d’adapter le texte à chacune des demandes qui lui sont présentées, «en mettant le doigt sur les éléments qui peuvent éventuellement poser question à la communauté requérante». La loi sur la reconnaissance le précise clairement : «Chaque Église ou communauté reconnue fait l'objet d'une loi qui lui est propre.» Et si l’Église catholique partage certaines convictions avec les évangéliques sur certaines questions sensibles comme l’avortement, le suicide assisté ou encore le mariage pour tous, elles ne sauraient être mise sur le même pied d’égalité. «L’Église catholique, telle qu’elle s’est organisée dans le canton de Vaud, s’est vu attribuer en 2003 le statut d’institution de droit public, alors que la FEV, relève du droit privé», insiste Éric Golaz: «Les régimes étant différents, il ne peut y avoir de comparaison et la question du « deux poids, deux mesures » ne se pose pas.» Anne-Sylvie Sprenger /Protestinfo