La foi évangélique et la foi réformée en débat
D’emblée, Pierre Gisel et Olivier Favre s’accordent sur les quatre principaux points théologiques qui distinguent les chrétiens évangéliques des autres protestants. Néanmoins, tous deux estiment qu’il existe de nombreuses manières, plus ou moins nuancées, d’être évangélique ou réformé. Chaque croyant développe son propre point de vue, même s’il se rattache davantage à une tendance ou l’autre. Pierre Gisel débute en affirmant que la «montée des évangéliques» va de pair avec une certaine «radicalisation» du message chrétien, typiquement moderne et aujourd’hui comparable au salafisme dans l’islam. Il pointe du doigt «un rapport fantasmatique aux origines»: la prétention de vivre le pur message évangélique du christianisme ancien. A ses yeux, le point central est «la clarté des Ecritures, à la base du fondamentalisme» que lui-même refuse: «Le sens des Ecritures n’est jamais évident, il dévoile une énigme fondamentale. Dans le récit d’Emmaüs, le Christ ressuscité disparaît au moment où les deux disciples le reconnaissent (Luc 24).»
Olivier Favre comprend le raisonnement du professeur mais, à ses yeux, «il y a une évidence de la résurrection. Les Evangiles ne sont pas des biographies de Jésus, mais ils contiennent une vérité historique: il y a eu la résurrection d’un cadavre». La lecture de Pierre Gisel est donc incomplète à ses yeux, car les Ecritures sont claires: «Les miracles surnaturels de Jésus sont une facette importante de l’Evangile, qui manifestent l’évidence de la présence de Dieu.» Le pasteur évangélique admet que le miracle n’est pas une preuve, mais un signe. Pourtant, dans son Eglise, il «prie pour les malades et expérimente des guérisons, car Dieu est un Dieu bon qui désire guérir».
Il s’agit donc de trouver un équilibre: Pierre Gisel admet, chez les réformés, un risque de méfiance vis-à-vis de l’expérience et de l’émotion spirituelles; tandis qu’Olivier Favre concède qu’il y a un risque du côté des évangéliques de survaloriser les miracles et les signes divins.
Les fronts se durcissent au sujet de la manière de devenir chrétiens. «Luther et Calvin reconnaissaient le baptême administré dans l’Eglise de toujours, car à leurs yeux, elle était corrompue mais n’avait pas perdu toute sa légitimité», précise Pierre Gisel. A l’inverse, les anabaptistes du temps de la Réforme rebaptisaient les adultes qui se convertissaient à leur foi, car ils ne reconnaissaient aucune légitimité aux Eglises historiques. Cela leur valut d’être persécutés. Olivier Favre explique qu’il y a différentes manières de pratiquer le baptême parmi les évangéliques actuels, qui sont les héritiers des anabaptistes sur ce point. Son Eglise baptise les enfants à partir de treize ans, faisant «confiance que ces jeunes font un choix personnel». Même si l’on hérite la foi de ses parents, il faut accepter Jésus personnellement comme son Sauveur.
En effet, pour Olivier Favre, «tout être humain est séparé de Dieu par le péché. Dieu souhaite nous réconcilier avec lui par son amour manifesté en Jésus-Christ. Si j’accepte la grâce de Dieu, je suis sauvé». Le pasteur ajoute cependant une importante nuance: «Je ne peux pas décider à la place de Dieu qui est sauvé ou non. Et il se peut qu’un catholique ou un réformé comprenne mieux la grâce de Dieu qu’un évangélique.» Certains évangéliques commencent à «se demander si l’enfer et la damnation existent», précise Olivier Favre qui, pour sa part, «croit vraiment que Jésus est venu nous amener à une vie après la vie». Pierre Gisel précise de son côté que «la tradition réformée est plus réservée sur ces questions». Lui-même ne se sent pas en mesure de se prononcer sur l’après-vie en peu de mots. Il parle d’une «transcendance, d’un Dieu présent à tous les moments de l’histoire, d’un autre ordre dont nous ne saurions faire la description».
Comment cette relation avec Jésus peut- elle se concrétiser dans nos vies? Ici aussi, réformés et évangéliques divergent. Selon Pierre Gisel, la foi chrétienne ne propose pas de «contre-modèle de bonne société selon Dieu» opposée au monde actuel. Le théologien considère la foi comme «une manière spécifique d’habiter la société de tous». Olivier Favre, en créant un «Centre de vie» à Neuchâtel, ne voulait pas de «salles de culte vides la semaine, mais un peuple de Dieu qui vit sa foi tous les jours». Fier d’être évangélique, il encourage les chrétiens «à s’engager dans tous les partis politiques», afin d’affirmer les valeurs chrétiennes dans la société. Le pasteur estime «qu’au lieu de cultiver excessivement l’autocritique, nous devrions revaloriser notre héritage chrétien». Et Pierre Gisel de rétorquer: «Si tout ce qu’ont fait les chrétiens n’est pas mauvais, le christianisme doit aussi apprendre à reconnaître ses pathologies.»
Les trois sens du mot "évangélique"
«Evangélique» peut avoir trois significations qu’il s’agit de ne pas confondre :
1) Qui se rapporte aux quatre Evangiles bibliques (Matthieu, Marc, Luc et Jean). Dans ce sens, toutes les Eglises chrétiennes, y compris catholiques, sont «évangéliques».
2) En allemand, «evangelisch» a le sens de protestant. En Suisse, on désigne ainsi les Eglises réformées «évangéliques» cantonales, c’est-à-dire protestantes.
3) De l’anglais «evangelicals», les Eglises et les chrétiens «évangéliques» appartiennent à la mouvance «évangélique» née au XIXe siècle, dont nous parlons dans ce dossier. Les évangéliques, les réformés et les luthériens font partie du protestantisme actuel.
Les quatre points forts de la théologie «évangélique»
Les chrétiens de la mouvance évangélique soulignent quatre accents de leur théologie qui les distinguent des protestants traditionnels:
1) La primauté et la clarté de la Bible, qui est la Parole révélée par Dieu.
2) Le sacrifice de Jésus, qui nous délivre des ténèbres du péché.
3) La nouvelle naissance qui suppose le choix personnel d’être chrétien.
4) Le témoignage de sa foi en participant à l’évangélisation du monde.