
La matérialité de la terreur
44'000. C’est le nombre estimé de camps mis en place sur les territoires nazis, destinés au travail forcé ou à l’extermination. Les premiers de ces lieux ont vu le jour en 1933. On célèbre cette année les 80 ans de leur libération, bien que des prisonniers de guerre allemands aient encore été internés jusqu’en 1948.
Le Laténium offre l’occasion de se pencher sur cette histoire oubliée avec une approche inédite: l’archéologie. Une exposition temporaire réunit, en effet, 650 objets récoltés lors de fouilles de sites d’enfermement en France, en Pologne et en Allemagne. Extincteur, boucles d’oreilles, semelles, lettres, préservatifs: les traces de l’enfermement ramènent à une grande diversité de situations.
Barbarie et humanité
Ces objets rappellent tout d’abord la matérialité des camps et leur horreur: ainsi, ce fragment de carrelage de la table d’autopsie du camp de concentration de Natzweiler-Struthof (Alsace, France) renvoie aux cobayes humains, victimes de médecins nazis. Des documents d’identification, des insignes en métal – parfois réalisés à partir de matériaux récupérés – racontent le travail forcé dans des usines d’armement ou d’équipement, alimentées par une main-d’œuvre gratuite.
Les pièces de jeux de société et les décorations de Noël fabriquées à partir de tôle d’aluminium récupérée, retrouvées dans le camp de concentration annexe de Rathenow, en Allemagne, constituent les traces – les preuves – d’une humanité qui se maintient coûte que coûte. Précisément là où la déshumanisation est industrialisée. Quant à ces insignes de prisonniers allemands dissimulés sous des planchers dans le camp de Miramas (France), elles montrent qu’en 1945 les symboles nazis étaient vus comme des trophées par les soldats victorieux.
Historiographie
Ces reliques ouvrent aussi quantité de questions passionnantes. D’abord parce beaucoup, peut-être la majorité d’entre elles, restent muettes ou sollicitent l’imagination: ces fragments d’assemblages inachevés constituent-ils des projets d’outil? Ces éléments fondus l’ont-ils été à la suite d’un bombardement? Ces ustensiles cachés sous un plancher indiquaient-ils des projets d’évasion? Et si oui, a-t-elle réussi?
A l’arrière-plan, c’est aussi la question des camps et de leur patrimonialisation qui ressurgit. Que faire de ces espaces, souvent voués à être éphémères? Faut-il les restaurer et comment? Enfin, cette archéologie contemporaine, souvent née de manière militante dans les années 1990, pose des dilemmes qui n’offrent pas de réponse simple. Comment fouiller ces lieux associés à des traumas récents? Quelles connaissances nouvelles nous apportent les objets recueillis? Quelle est leur fonction mémorielle et comment la faire vivre, à l’heure où les derniers survivants de la Seconde Guerre mondiale s’éteignent? Des discussions que l’on peut retrouver sur des vidéos accessibles sur le site du Laténium. Et qui font directement écho à l’actualité: les lieux de terreur n’ont pas disparu, pensons notamment à la prison de Saydnaya, concentré de la barbarie du régime de Bachar el-Assad, libérée fin 2024.
Côté pratique
«Dans les camps. Archéologie de l’enfermement», Laténium, Neuchâtel, jusqu’au 27 avril. Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h.
Plus d’infos sur www.latenium.ch.