L’Église à la rencontre des métalleux
C’est une tente, comme il y en aura beaucoup cette fin de semaine sur le terrain du Greenfield Festival à Interlaken. Mais dans ce stand, ni produit à vendre ou à consommer, ni musique. En revanche, une bougie, un grand cahier pour consigner ses impressions, un verset biblique à emporter et une personne prête à vous écouter. Cette année encore, du 9 au 11 juin, l’aumônerie réformée est à l’affiche du plus grand festival de musique metal en Suisse. Et pour la première fois, elle disposera d’une chapelle à côté de son pavillon. «Bien sûr, ce ne sera pas un lieu de réel silence, étant donné le contexte festif et tonitruant de la manifestation…», sourit le pasteur Samuel Hug, initiateur de cette présence d’Église parmi les métalleux. «Ce que nous offrons là, c’est plutôt la possibilité de trouver le silence intérieur!»
Une présence off
Depuis 2018, l’«Ansprechbar» (littéralement: «disponible, abordable», ndlr) occupe la pelouse de l’ancien aérodrome de l’Oberland bernois, foulée lors de la dernière édition du Greenfield Festival, en 2019, par 82'000 personnes. Une présence largement soutenue par l’organisateur de la manifestation: «Un festival n’est malheureusement pas toujours “fun and party”. Il est donc bon que les visiteurs puissent avoir un lieu où ils peuvent parler de leurs problèmes», se réjouit Michaël Andai, porte-parole du festival. L’offre aide notamment à la désescalade, quand les situations humaines deviennent trop tendues.
En marge des concerts de Billy Talent, Korn et autres Volbeat, Samuel Hug, ministre de l’Église réformée bernoise se relaie avec une diacre et une vingtaine de collaborateurs bénévoles pour rencontrer les festivaliers dans un «bar» provisoire qui se fond dans le décor. Les chaises longues noires sont disposées dans un espace qui se veut accueillant. Le code visuel est celui de la scène du heavy metal: lettres gothiques sur fond résolument sombre, têtes de mort et flammes ailées dessinant une danse des morts grinçante.
Se rafraîchir sans alcool
Malgré son étiquette de «bar», le lieu ne doit pas faire illusion. Sur une table basse, un panier en plastique surmonté d’un écriteau avertit qu’on ne vient pas là pour boire: «Bierparkplatz», «place de parc pour les bières». On dépose donc son godet avant d’entamer la conversation, pour le reprendre au moment de repartir. «Parfois les gens s’arrêtent: ils trouvent l’endroit super cool et demandent à y prendre un verre. Nous leur répondons que chez nous il n’y a que de l’eau fraîche et de bonnes conversations… Nous n’avons pas de bière, mais du temps!», raconte Nadine Zurbrügg, la diacre bernoise qui complète l’équipe pastorale.
Au bilan des expériences passées: plus d’un demi-millier de conversations en tête-à-tête ou à plusieurs, lors de chacune des éditions. «Des brefs échanges aux entretiens pastoraux approfondis, nous sommes prêts à tout», détaille Samuel Hug. «Certaines personnes ne font que passer. D’autres amènent un ami qui décompresse, et qu’ils ne savent pas comment aider. Parfois, on prend une heure pour parler avec une personne complètement soûle qui a besoin de ce moment d’écoute, même si elle ne s’en souviendra peut-être même pas le lendemain», complète Nadine.
Chacun des professionnels et des bénévoles de «Ansprechbar» est non seulement fan de metal, mais aussi formé à l’écoute et à la relation d’aide. L’équipe collabore avec le team sanitaire et la sécurité du festival. Elle assure sa présence pastorale et sociale 24 heures sur 24, dans un lieu stratégique de passage, sur le chemin entre la scène et le camping. Au cœur de la nuit, quand les concerts sont terminés, elle y propose aussi un temps de «culte metal». «Quand on a peu dormi, et que l’alcool fait son effet, des choses parfois douloureuses émergent», note Nadine Zurbrügg. Et le pasteur d’ajouter: «On offre surtout un cadre pour dialoguer avec compréhension et compétence». Le deuil est très présent dans les échanges: par exemple la perte d’un ami, présent lors d’une précédente édition, dont l’absence soulève de nombreuses questions.
Les thématiques religieuses ne sont d’ailleurs pas si étrangères au monde du heavy metal, indique Samuel Hug: «Ce milieu peut apparaître très critique par rapport à la religion, notamment en raison de son esthétique. Cela ne correspond pas toujours à la réalité. Cette musique reprend des grands thèmes de la tradition biblique – la vie, la mort… – mais avec son propre langage. Une ouverture qui peut représenter de nouvelles perspectives pour l’Église.»
Pas de prosélytisme
Sous la tente, on joue franc jeu: si l’équipe est là au nom de l’Église, l’intention de l’aumônerie du festival n’est en rien missionnaire ou évangélisatrice. C’est la raison de sa bonne acceptation sur le terrain, remarque Michaël Andai, au nom de la manifestation: «L’équipe pastorale est surtout là pour aider, indépendamment de la religion, les personnes qui cherchent une oreille attentive. Les festivaliers l’apprécient.» L’initiative s’inscrit d’ailleurs dans un projet plus vaste, «Metalchurch», actif depuis 2012 dans l’Église réformée de Berne-Jura-Soleure. Samuel Hug y tient tous les deux mois des cultes pour les métalleux dans une boîte de nuit à Wangen an der Aare, ainsi que des rencontres de discussion. Avec ses collègues, il propose aussi des capsules, diffusées sur les réseaux sociaux, sous l’étiquette «Heavy Mental». «Nous voulons prendre de nouveaux chemins, être avec les gens là où ils se trouvent pour pouvoir écouter leurs demandes», explique celui qui fait figure de pionnier dans ce ministère et dont la démarche n’est pas étrangère à son passé de chanteur dans un groupe de metal chrétien.