La Suisse occupe une place importante dans l’oeuvre littéraire et picturale de Dürrenmatt. Son pays, qu’il compare tour à tour à une équipe de football, à une écurie, à une prison ou encore, à un village l’a inspiré pour mettre le doigt sur certains de ses travers ou de ses qualités. «Peu de gens savent que Dürrenmatt était un fan de football. Il était un fervent supporter du FC Xamax, l’équipe de Neuchâtel. Il pouvait même suivre les matchs depuis sa terrasse à l’aide de son télescope», précise Jérémie Steiger, collaborateur scientifique au Centre Dürrenmatt. De cette passion est né un récit intitulé le FC Helvetia 1291, dans lequel il compare l’histoire de la Suisse à celle d’une équipe de football qui a arrêté de jouer des matchs internationaux après sa défaite en 1515 à Marignan.

Une autre métaphore forte utilisée par l’auteur pour décrire la Suisse est celle d’une prison. Un terme qu’il utilise quelques semaines avant sa mort lors d’un discours qui a marqué les esprits. «Cela faisait suite à l’affaire des fiches, véritable scandale de surveillance étatique. Dans son intervention, il compare la Suisse à une prison dont chaque prisonnier fait la preuve de sa liberté en étant lui-même son propre gardien», détaille Jérémie Steiger. Pour le collaborateur scientifique, le regard que porte Dürrenmatt sur la Suisse est à la fois lucide et critique, mais en même temps teinté de bienveillance et de plaisir à jouer avec la réalité quotidienne. 

«Pour ce centenaire, nous avons eu envie de montrer certaines facettes peu connues du personnage et de son oeuvre», ajoute Madeleine Betschart, directrice du Centre Dürrenmatt. Outre l’exposition temporaire sur sa vision de la Suisse qui est à voir jusqu’à début juillet, de nombreuses peintures sont également exposées de manière permanente. «Le public connaît finalement assez peu son oeuvre picturale, car il a très peu exposé de son vivant et jamais vendu de tableaux. Notre rôle au centre est de la mettre en valeur et de la faire dialoguer avec ses écrits», complète-t-elle. La directrice précise que l’exposition permanente Dürrenmatt – peintre et écrivain a été partiellement renouvelée. Une partie dédiée à la réception de l’auteur dans le monde et une visite guidée de son bureau privé pourront aussi ravir les visiteurs. Et le centre lui-même vaut le détour. Situé dans le vallon de l’Ermitage sur les hauteurs de Neuchâtel, il a été conçu par l’architecte Mario Botta.

Teintés de fictions et de métaphores, les écrits de Friedrich Dürrenmatt traversent les époques et rencontrent encore un écho aujourd’hui. «Il y a beaucoup de thématiques qui lui étaient chères qui résonnent encore, comme l’injustice envers les femmes. Dans l’une de ses pièces phares qu’est La Visite de la vieille dame, une jeune fille vit une injustice incroyable dans son village, elle part et revient à la fin de sa vie pour demander justice et réparation. Cela pourrait être mis aujourd’hui en relation avec le mouvement #MeToo», complète Madeleine Betschart. En lien avec le coronavirus, bien que la situation ne soit pas comparable, la directrice du Centre suggère de relire l’un de ses textes dans lequel il a inventé un virus en Afrique du Sud. Dans cette fiction, une maladie mystérieuse ne touche que les blancs qui deviennent noirs, ce qui a pour conséquence de mettre fin à l’Apartheid et à la discrimination.