De la profondeur dans la relation
«C’est toute cette série de photos que j’aimerais choisir!» Les pages des «Frères» de Marcel Imsand défilent sous les yeux du journaliste Pierre Pistoletti. Les clichés montrent la complicité entre Milet l’introspectif et L’Est et l’Ouest le malicieux, la maladie du premier, puis le vide qu’il laisse. «Si je ne dois en prendre qu’une, je pense que ce serait celle-là», finit par trancher le rédacteur en chef de cath.ch en s’arrêtant sur une page où figure l’un des portaits de L’Est et l’Ouest après la mort de son jumeau. «Il y a dans cette série une dimension humaine que je ne me lasse pas de regarder», note le trentenaire. «La photo, c’est un art qui me parle en particulier», complète Pierre Pistoletti. Admirant les images, il énumère: «On voit les tempéraments différents des deux frères, leur complicité aussi. Leur vie contemplative en bord de forêt, leur côté désarmé face à la maladie, l’absence.»
Une confiance à acquérir
«Il a certainement fallu à Marcel Imsand des semaines, probablement des mois pour qu’on ne le voie plus; pour que l’on oublie complètement son objectif», commente le journaliste. Et cette confiance que les jumeaux ont accordée au photographe touche Pierre Pistoletti. Il espère pouvoir vivre, comme journaliste, quelque chose de semblable: «Cela me dit quelque chose de cette capacité à voir les gens que l’on a la possibilité de rencontrer. Parfois, on a la chance d’entrer dans la profondeur de leur intimité. Cela ne se passe pas chaque fois, et dans un sens heureusement, mais il y a parfois de vraies rencontres.» Avec un sourire, il avoue toutefois que pour sa part, se retrouver dans le rôle de l’interviewé ne lui est pas très naturel.
Fin avril, Pierre Pistoletti a reçu le prestigieux Swiss Press Award dans la catégorie «Press online» pour son dossier en ligne intitulé «Lorsque le berger est un loup», consacré aux abus dans l’Église catholique. Un prix qui récompense justement la capacité que le journaliste a eue à être juste dans ses relations avec les victimes d’abus qu’il a rencontrées et qui lui ont livré leur récit. «Ce travail a été compliqué à mener. Mais c’était nécessaire. Il y a des fois où je suis revenu d’interviews en colère contre l’institution et son déni de la réalité. Puis, je me disais que notre travail de journaliste était d’autant plus nécessaire puisque la première étape vers un changement, c’est la prise de conscience.»
La posture du journaliste avec l’institution est donc à questionner sans cesse. «La juste distance que l’on doit avoir avec l’Église n’est jamais acquise», concède-t-il. Ne jamais devenir un acteur du changement pour rester dans un rôle de témoin et de relais permettant une prise de conscience est un exercice d’équilibrisme délicat.
Lenteur nécessaire
«Pendant des mois, l’an passé, cette question a été non seulement au coeur de mon travail, mais aussi de nombreuses conversations», reconnaît-il. «Pour arriver à quelque chose de qualité, il faut prendre du temps. C’est peut-être un luxe que l’on a dans les médias religieux plus qu’ailleurs.» Le temps d’établir une relation en profondeur. Un éloge de la lenteur que n’aurait certainement pas démenti Marcel Imsand. Dans la préface de «Frères», il raconte ses visites aux jumeaux: «Quand je revenais les voir, que je frappais à la porte de la grande chambre, j’éprouvais toujours une grande émotion, comme si j’entrais dans un théâtre. Je m’asseyais, je les regardais, je les écoutais. En pensant au monde d’aujourd’hui, je me disais qu’on avait sans doute perdu quelque chose que je retrouvais ici: le calme, le temps arrêté. J’ai toujours été impressionné à la fois par leur dénuement et par leur bien-être.»
«L’aspect intéressant dans le journalisme religieux, c’est que quand on parle de spiritualité avec des gens, on touche à quelque chose d’essentiel. Le spirituel te permet d’accéder à quelque chose de très profond», commente Pierre Pistoletti. Des questions essentielles qui à titre personnel l’ont guidé. «A 23 ou 24 ans, j’ai découvert la théologie, la littérature et cela m’a nourri.» Alors titulaire d’un CFC de médiamaticien, il décide d’entreprendre des études de théologie. «J’ai toujours eu une forme de sensibilité, je ne peux pas rester en surface. Je n’ai pas pu poursuivre dans l’informatique.» Il pense toutefois que les questions spirituelles gardent une dimension universelle. «Ces questions sont présentes, même lorsque l’on se distancie d’une tradition ou d’une vision d’Église figée. Il y a peut-être simplement des gens qui sont plus sensibles à ces interrogations-là.»
Pierre Pistoletti a 35 ans. Il a débuté son stage de journaliste à l’Agence de presse internationale catholique (APIC) en 2014 et a été diplômé du Centre de formation au journalisme et aux médias en 2016. En 2018, il reprend la rédaction en chef du portail cath.ch, né en 2015, du regroupement des activités de l’APIC et du site web catholink. Pierre Pistoletti est marié et vit à Chexbres.