Une introduction aux sciences bibliques en bédé
Alors que les bibles en bande dessinée sont légions, les personnes intéressées par les origines de ce texte fondateur n’avaient, jusqu’à présent pas d’autres alternatives que de se tourner vers des ouvrages à la présentation plus austère. Un manque que les éditions du Lombard comblent. Elles viennent de publier «Naissance de la Bible» dans une collection originale consacrée à la vulgarisation scientifique au travers du 9e art: «la petite bédéthèque des savoirs». La bédéiste Léonie Bischoff et le bibliste Thomas Römer sont les auteurs de cet ouvrage. Interview.
Une bédé consacrée aux sciences bibliques! D’où vient cette idée?
Thomas Römer: J’ai été abordé par David Vandermeulen, le directeur de collection de «la petite bédéthèque des savoirs» en marge d’une conférence que j’avais donnée sur l’utilisation et la récupération des recherches archéologiques sur les sites bibliques. Il m’a présenté sa collection comme une sorte de «Que sais-je?» en bédé. J’ai trouvé l’idée ludique et j’ai fait une sorte de scénario.
Léonie Bischoff: Le premier texte que j’ai reçu, c’était 18 pages très denses. J’ai eu beaucoup de travail pour essayer de mettre cela en scène et faire un premier story-board. Il y a eu ensuite plusieurs aller-retour avec Thomas Römer.
TR: J’ai fourni à Léonie différents éléments iconographiques pour qu’elle puisse avoir une idée de ce à quoi ressemblait le Proche-Orient ou Babylone. Certains éléments ont d’ailleurs été intégrés. Pour le reste, elle a dû imaginer cet univers. Léonie m’a aussi posé des questions. Par exemple, elle a proposé d’intégrer un arbre généalogique des 12 tribus d’Israël, et j’ai dû lui fournir les données.
LB: Et j’ai aussi beaucoup travaillé sur les couleurs pour créer l’univers visuel du livre.
Ce n’est pas votre premier livre de vulgarisation, Thomas Römer. Mais j’imagine que là les contraintes de rédactions étaient importantes.
TR: Le nombre de signes pour le texte est très limité. D’ailleurs, je dépasse un peu ce qui m’avait été prescrit. C’est à peu près le même nombre de pages qu’un «Que sais-je?», mais il faut laisser de la place pour le dessin. Un vrai défi de ne pas être trop compliqué, mais sans être trop elliptique non plus. En même temps, j’ai trouvé l’exercice assez amusant. Ce n’était pas évident, mais je ne l’ai jamais vécu comme un fardeau, ce qui m’est déjà arrivé sur d’autres projets.
Vous êtes devenu militant? L’ouvrage débute sur une série de mésusages de la Bible...
TR: C’est un peu l’idée qui m’avait été soufflée par David Vandermeulen. Il m’a dit qu’il faudrait trouver quelque chose d’actualité. En discutant, on est arrivés au constat que des fondamentalismes se manifestent un peu partout. Voilà pourquoi le récit débute de cette façon.
Oui, mais l’ouvrage se termine aussi par une ode à la lecture historico-critique!
TR: Ce n’est pas nouveau, vous me connaissez… C’est vrai, peut-être qu’à mon âge, je deviens un peu plus militant. Je suis de plus en plus effaré, voire énervé par les fake news, le fondamentalisme rampant ou toute autre maladie postmoderne. Je pense que la postmodernité ne nous a pas beaucoup aidés, au contraire, elle ouvre la porte à toutes sortes de discours. Selon certains sondages, en France 15% de la population croit que la Terre est plate et c’est un pourcentage qui augmente évidemment si vous allez de l’autre côté de l’océan. C’est quand même effarant au XXIe siècle! Et il y a des idées sur la bible qui s’inscrivent un peu dans ce type de visions du monde. Quand j’étais ado, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse arriver. Je me disais que la science avait triomphé. Mais elle n’a pas triomphé partout.
LB: Pour moi, c’était important. Je ne suis pas croyante et je n’aurais pas pu collaborer avec un projet trop religieux, car j’ai un problème éthique avec la façon dont les religions traitent certaines questions d’actualité. Mais Thomas Römer est qui il est et je n’ai pas beaucoup hésité à travailler avec lui.
Thomas Römer, c’est parce que cet obscurantisme vous est difficile que vous avez toujours alterné la publication d’ouvrages scientifiques avec celle de livres à destination d’un public plus large?
TR: Oui, peut-être aussi. Mais j’ai toujours été convaincu que si en tant que chercheurs, l’on est payés par la société, ce n’est pas simplement pour se faire plaisir entre 300 scientifiques qui s’excitent autour des dernières théories sur la formation de la Bible. C’est très bien, il faut le faire! Mais il faut aussi montrer au public pourquoi c’est important. Et qu’est-ce que cela nous dit à la fois sur l’origine de notre civilisation et sur la manière que nous avons d’aborder ces textes. C’est quand même des écrits qui sont constamment mis en avant, cités et critiqués. Et je pense que seule une information solide permet d’avoir une attitude un peu éclairée par rapport au texte biblique.
Une partie du christianisme actuel est tentée par une lecture un peu régressive et fondamentaliste des textes bibliques. Je suis désolé de le dire, mais c’est aussi parce que c’est quelque chose qui est de plus en plus proposé par les Églises. Je pense que sur ce point, mon collègue sociologue des religions Jörg Stolz a raison quand il dit que quand vous vous sentez en minorité ou menacés, vous durcissez le discours. C’est quelque chose qu’on observe aussi dans certains milieux réformés: il y a des gens qui pensent ce serait beaucoup mieux de faire comme les évangéliques. Mais imiter leurs stratégies me semble vain: si les gens ont le choix entre l’original et la copie, ils vont prendre l’original.
Par contre, c’est vrai gens qu’il y a des gens qui sont à la recherche d’information sur la Bible qui ne soient pas trop compliqués. Et c’est aussi pour cela que j’étais assez content de faire cette bédé, parce que cela permettra peut-être aussi d’atteindre un public différent. Si vous faites de la vulgarisation et publiez chez Labor et fides ou Bayard vous toucherez un certain public, intéressé par avance. Peut-être qu’avec une bédé, on va toucher le public de la bédé ou des gens qui se disent «Ttens c’est marrant, le dessin est joli et ça ne coûte pas cher!»
Le titre de cette bédé est «Naissance de la Bible». Mais vous n’y abordez que la formation de l’Ancien Testament, en milieu chrétien, est-ce qu’il ne nous manque pas le Nouveau Testament?
TR: En effet, il y a une sorte de différence de terminologie entre la Suisse et la France. En Suisse, probablement sous l’influence allemande, quand on dit Bible on imagine systématiquement Ancien et Nouveau Testaments. En France, on parlera plus facilement de la «Bible et les Évangiles» où la Bible désigne l’Ancien Testament et les Évangiles, le nouveau dans son ensemble.
Je voulais mettre «Bible hébraïque», dans le titre, mais l’éditeur trouvait cela trop compliqué. C’était déjà assez difficile de parler de l’ensemble de l’Ancien Testament en si peu de pages!
Qu’est-ce qui vous passionne tellement dans cette Bible hébraïque?
TR: Contrairement à ce que disent certains, ce n’est pas un livre dogmatique. C’est une sorte de compilation de différentes idées des hommes sur Dieu, sur le monde sur leur histoire, sur la question des origines et sur la question de la finalité. Et je pense que ce sont des questions que tout le monde se pose. Je trouve passionnant de voir comment une religion a pu se fonder, non pas sur une sorte de Vérité révélée qui serait uniforme, mais sur une très grande diversité. Le judaïsme se décline ainsi sur le mode de la diversité, tout comme le christianisme et d’une certaine manière l’islam. Je pense donc que l’enjeu, c’est de construire une identité en acceptant cette diversité. Vous allez de nouveau me dire que je suis militant, peut-être, mais c’est ça que je trouve important.
Les lectures littéralistes ont du succès parce qu’elles donnent la vérité. La Vérité vérité avec un grand V. Mais je mets quiconque au défi de me faire une lecture intégrale littéraliste de la Bible. C’est impossible! Déjà parce que les textes sont contradictoires, ensuite parce qu’ils ne sont pas applicables ou alors, il faut réintroduire l’esclavage, la polygamie, la peine de mort. Ce sont des réalités à la fois de l’Ancien et du Nouveau Testament. Donc, les lectures qui se veulent littéralistes se basent sur des concepts que l’on souhaite justifier. On dit faire une lecture littéraliste, mais on fait une grande sélection pour ne garder que certains textes.
«Naissance de la Bible – Comment elle a été écrite»
Thomas Römer et Léonie Bischoff, Éditions du Lombard, collection La petite bibliothèque du savoir. 80 pages, 15fr90.