«Il y a urgence à redire l’événement de Noël»
Professeur honoraire de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne et pasteur, Daniel Marguerat s’est prêté au jeu de l’écriture narrative à travers treize contes et récits qui illustrent les fêtes de Noël et de Pâques. Publié début novembre, «Le musicien des anges» destinés aux enfants et aux adultes redonne un sens, parfois oublié, aux fêtes religieuses.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire un livre de contes et de récits?
Il y a urgence à redire les événements de Noël et de Pâques, d’une manière nouvelle, à une société qui en est lassée. Je suis convaincu que le récit est un mode de communication de l’Evangile, une façon de transmettre des valeurs, d’interpeller et de s’interroger sur le monde dans lequel nous vivons. A la différence du discours ou de la prédication, il fait appel à l’imaginaire. J’ai donc tenté de réfléchir non seulement au charme du récit, à la magie qu’il dégage, mais à la théologie qu’il transmet. Il faut dire qu’on assiste à un effacement dramatique du sens de la fête de Noël. Sous prétexte de ne pas heurter d’autres croyances, on transforme l’événement de Noël en une gigantesque braderie commerciale.
Quelle est la différence entre un conte et un récit?
Mon livre contient des contes et des récits. Les contes racontent une histoire qui appelle à la solidarité, à la compassion, à la découverte de l’autre: c’est Noël revisité et projeté dans notre présent! Les récits se greffent sur un épisode biblique et lui inventent une suite ou ajoutent d’autres personnages. Contrairement aux contes, les récits réclament une connaissance des Ecritures. En l’occurrence, ils revisitent la mort de Jésus, la résurrection, l’attitude des femmes et des disciples pour les raconter et en déployer le sens.
Quelles sont vos sources d’inspiration pour écrire les contes?
Je puise d’abord dans mon imagination. J’ai inventé un grand nombre des contes pour mes enfants et petits-enfants. Pour moi, l’histoire de Noël est la nouvelle d’une grâce totalement surprenante, un Dieu qui vient là où on ne l’attend pas. J’ai essayé de reproduire cette surprise, non pas en parlant des événements d’il y a 2000 ans, mais en la projetant dans des situations de la vie quotidienne. C’est une manière de revisiter ce que représente cet événement: le choc de la grâce inattendue, la surprise d’un Dieu qui se manifeste dans la fragilité. J’en ai assez de la mièvrerie de certains contes où le sens interpellant, choquant, inattendu de cette fête disparaît derrière la figure bouffie du père Noël.
Pourquoi avoir choisi de placer ces histoires dans le canton de Vaud?
Parce que je m’inscris dans la logique de l’incarnation. La plupart de mes contes se déroulent en Suisse romande, car il faut dire l’inattendu ou la surprise dans la vie telle qu’elle se déroule. Si l’on entraîne le lecteur totalement ailleurs, il va entendre quelque chose qu’il aura de la difficulté à s’approprier et à incarner dans son monde à lui.
Des contes pour enfants et adultes, c’est un pari compliqué, non?
J’ai effectivement essayé, notamment dans les récits, de m’adresser autant aux enfants qu’aux adultes. Les théologiens ont longtemps pensé que l’histoire racontée, le récit, était un mode de communication destiné aux enfants ou aux adultes un peu simples. Grosse erreur ! Ce qu’on a redécouvert à partir des années 1980, c’est la force du récit comme mode de communication de l’Evangile. Je déplore que la prédication chrétienne se confine au discours de type argumentatif : le sermon. Le mode narratif a une potentialité beaucoup plus large parce qu’il ne s’adresse pas seulement à l’intellect, mais à l’émotionnel.
Est-ce qu’il y a un conte qui vous a particulièrement marqué?
Le conte de Léon Tolstoï, «Là où est l’amour, là est Dieu», m’a beaucoup marqué. Je l’ai entendu enfant, sans l’avoir tout à fait compris, et redécouvert à l’adolescence. Il raconte l’histoire d’un pauvre cordonnier qui veut rencontrer Jésus et se désole de ne pas l’avoir trouvé. Mais en chemin, il rend service, il fait le bien et secourt des personnes en difficulté. Tolstoï termine son histoire en faisant comprendre que ce cordonnier a, malgré tout, rencontré le Christ, mais sous la forme des personnes auxquelles il a porté secours. Ce conte est remarquable de profondeur théologique. Il illustre un moment très fort de l’Evangile: la façon dont nous pouvons rencontrer le Christ aujourd’hui.
Allez-vous publier d’autres contes?
Non, pas dans ce genre-là. Mon prochain livre sera plutôt un roman policier théologique.