«Les fous de Dieu», une pièce de théâtre jugée blasphématoire voici 70 ans

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«Les fous de Dieu», une pièce de théâtre jugée blasphématoire voici 70 ans

9 octobre 2017
Intitulée «Les fous de Dieu», la nouvelle exposition du Centre Dürrenmatt Neuchâtel propose un éclairage sur le rapport que Friedrich Dürrenmatt, fils de pasteur, a entretenu avec la foi tout au long de sa vie. A découvrir jusqu’au 14 janvier prochain, cette exposition s’inscrit dans le cadre du Jubilé des 500 ans de la Réforme.

L’exposition «Les fous de Dieu» s’articule autour de la pièce de Dürrenmatt «Il est écrit» — «Es steht geschrieben». Elle met en lumière l’une des pages les plus marquantes du protestantisme: la révolte de Münster. Lié à un groupe d’anabaptistes extrémistes qui a cherché à établir le royaume de Dieu sur terre, cet épisode historique de l’Allemagne du XVIe siècle a inspiré Friedrich Dürrenmatt par son fort potentiel dramaturgique.

A travers des œuvres, vidéos, photographies, archives et extraits de texte, l’exposition se base sur la toute première pièce du jeune Dürrenmatt — «Es steht geschrieben» —, pièce qui a été portée à la scène en 1947, au Schauspielhaus de Zurich. «Le soir de sa première, la pièce a provoqué un scandale, une partie du public la jugeant blasphématoire. Pourtant, à travers ce texte, l’auteur ne visait pas une communauté en particulier. Il cherchait plutôt à susciter une réflexion», note Madeleine Betschart, directrice du Centre Dürrenmatt Neuchâtel.

En français, la pièce n’a été jouée qu’une seule fois: à Paris, en 1952, sous le titre «Les fous de Dieu». Par la suite, l’auteur a interdit toute nouvelle mise en scène, tant en allemand qu’en français. Vingt ans plus tard, en 1967, le dramaturge a retravaillé le texte sous le titre «Les anabaptistes». Chacune des versions illustre donc la relation que Dürrenmatt entretient à la foi à diverses périodes de sa vie.

Une découverte synonyme de révélation

Le début de l’exposition présente la pièce, notamment par des photographies de la première mise en scène à Zurich. «Elle montre en quoi elle s’avère un tournant pour Dürrenmatt. Lui qui se rêvait peintre et est devenu écrivain, découvre le théâtre à l’âge de 26 ans. C’est une révélation, car il le voit comme une forme intermédiaire entre la littérature et la peinture», explique Duc-Hanh Luong, commissaire de l’exposition.

Duc-Hanh Luong indique que Dürrenmatt a découvert l’épisode de la révolte de Münster durant sa jeunesse, grâce à un livre qui appartenait à son père pasteur. «Cela donne un premier indice sur l’importance que revêt la religion dans la vie et l’œuvre de Dürrenmatt. Cette thématique est très vaste et l’exposition ne vise pas à la présenter de manière exhaustive. Elle se focalise sur une pièce et ses deux versions, distantes de 20 ans, qui montrent l’évolution du rapport de Dürrenmatt à la foi», souligne la commissaire de l’exposition.

La seconde partie des «fous de Dieu» est consacrée à la révolte de Münster. Après quelques repères historiques, le visiteur découvre que de nombreux écrivains et réalisateurs se sont inspirés de cette tragédie. «On trouve en effet dans cet épisode les ingrédients idéaux pour concocter un bon récit: une révolution sociétale, des jeux de pouvoir, de la violence, de l’insolite avec l’instauration de la communauté des biens et un parfum de scandale avec l’établissement de la polygamie. Le tout inséré dans une parfaite unité de temps et de lieu», commente Duc-Hanh Luong.

Foi dissidente aussi réprimée en Suisse

L’exposition montre également que les événements de Münster ne sont pas totalement déconnectés de la Suisse et de la région de Neuchâtel. Apparu à Zurich en 1525 d’une dissidence protestante, le mouvement anabaptiste a pris, vers 1540, une certaine ampleur à Neuchâtel. Un essor qui a conduit Guillaume Farel à demander à Jean Calvin de l’aider à réprimer cette foi dissidente. A l’heure actuelle, quelque 2000 membres de cette communauté vivent en Suisse, notamment sur les hauteurs de l’Arc jurassien. Désireux de se distancier de la branche violente münsteroise, ils se désignent sous le nom de mennonites.

Le parcours à travers «Les fous de Dieu» s’achève par un retour sur la pièce de Dürrenmatt. «Lorsqu’elle a été créée, juste après la Deuxième Guerre mondiale, elle a souvent été lue à la lumière du IIIe Reich et des atrocités qui pouvaient être commises au nom d’une idéologie appliquée avec fanatisme», relève Duc-Hanh Luong. La commissaire de l’exposition ajoute que «l’auteur n’a jamais réfuté ce lien. Mais il ne voulait pas que son œuvre soit lue uniquement à travers ce prisme-là. Pour lui, il s’agissait de créer des mondes, des contre-mondes, des paraboles susceptibles de faire réfléchir au fonctionnement de nos propres sociétés».

Contenu toujours d'actualité

Au final, septante ans après sa création, la pièce de Dürrenmatt demeure d’une étonnante actualité. «Aujourd’hui, on peut rapprocher Münster de théocraties modernes qui veulent imposer une loi divine pour réguler la société. Mais on peut aussi penser au-delà de la religion, souvent instrumentalisée, et constater que des mécanismes similaires sont à l’œuvre dans toute dérive totalitaire», analyse Duc-Hanh Luong.

Infos pratique 
«Les fous de Dieu» 
Du 1er octobre 2017 au 14 janvier 2018.
Dans le cadre du Jubilé des 500 ans de la Réforme.
Centre Dürrenmatt Neuchâtel
Chemin du Pertuis-du-Sault 74, Neuchâtel