OUI à l'initiative "Interdiction de se dissimuler le visage"

Image du Comité "À visage découvert"
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Image du Comité "À visage découvert"

OUI à l'initiative "Interdiction de se dissimuler le visage"

Par Shafique Keshavjee
11 février 2021

Le peuple suisse est appelé à se prononcer, le 7 mars 2021, sur l'initiative "Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage". Le Conseil fédéral, le Parlement, et des "autorités spirituelles" de ce pays (Eglise évangélique réformée de Suisse, Conseil suisse des religions...) invitent tous à rejeter cette initiative.

Une belle unanimité pour dire NON.

Tout sujet complexe a besoin d'une pluralité de perspectives. Pour favoriser le débat, un Comité interreligieux auquel j'ai participé, a décidé d'offrir un autre éclairage.

L’initiative n’est pas sans défauts (dont celui d'émaner de milieux proches de l'UDC qui ont leur propre agenda), mais elle a le mérite de mettre en lumière de vrais problèmes. 

En particulier, celui d’utiliser la liberté pour affaiblir les libertés

Et celui d’utiliser la non discrimination pour promouvoir des discriminations.

 

D’autres voix politiques

 

Le monde politique n’est pas unanime dans le soutien au NON à l’initiative. Déjà au Parlement, un nombre non négligeable de personnes a soutenu le OUI (77 oui, 113 non, 7 abstentions).

Et des politiciens de différents partis, même de la gauche divisée sur ce sujet, se sont unis pour soutenir l’initiative. Un Comité romand en faveur de l’interdiction de se dissimuler le visage s’est constitué. Il est intitulé À visage découvert.

 

Une autre voix spirituelle et éthique

 

Un groupe de citoyens issus des traditions juive, musulmane et chrétienne, auquel j’ai participé, a tenu aussi à faire entendre une autre voix que celle du Conseil suisse des religions et de l'Eglise évangélique réformée de Suisse. Voici notre Communiqué.

Dire OUI à l’initiative ne va pas résoudre tous les problèmes liés à l’avancée de l’islam salafiste, juridique et politique en Suisse. Mais il donnera un signal clair. Un OUI soutient l'avancée de l'islam progressiste en Suisse (tel que défendu par Mme Saïda Keller-Messahli) et freinera la progression d'un islam politique et radical (tel que défendu par M. Montassar BenMrad, proche des Frères musulmans et membre du Conseil suisse des religions).

 

Un autre point de vue sur l’initiative relative à l’interdiction de se dissimuler le visage

 

8 février 2021. Communiqué

Le 7 mars, le peuple suisse sera appelé à se prononcer sur l’initiative proposant une modification de la Constitution pour interdire le voilement du visage.  Un groupe de citoyens de diverses traditions religieuses propose ici un autre avis que celui exprimé par le Conseil suisse des religions (CSR).

Dans sa prise de position du 25 janvier 2021, le Conseil suisse des religions (CSR) recommande de rejeter l’initiative populaire au profit du contre-projet indirect du Conseil fédéral et du Parlement (note 1). Nous, signataires du présent communiqué, reconnaissons que le peuple devra se prononcer moins sur une question de sécurité que sur la place de l’islam politique et radical (salafiste, wahhabite et des Frères musulmans) dans notre société. Nous ne pouvons cependant pas appuyer la position du CSR, qui nous paraît faire fausse route, pour les raisons suivantes.

1. Sa prise de position n’évoque pas les raisons données par la tradition musulmane pour demander le voilement des femmes, un aspect fondamental pour bien comprendre les enjeux du débat. C’est à partir du Coran (ch. 24.30-31), que les savants musulmans ont élaboré la notion de « partie indécente du corps » que les croyants doivent cacher aux regards. Ils expliquent que chez l’homme, elle concerne la partie située entre le nombril et les genoux tandis que chez la femme musulmane libre, elle s’étend à l’ensemble du corps (à l’exception du visage et des mains).

2. Nous abondons dans le sens du CSR lorsqu’il « insiste sur … l’interdiction de toute forme de discrimination », attitude que nous ne pouvons qu’approuver. Malheureusement, il semble lui échapper que le port du voile est justement un cas de discrimination. Les musulmans traditionnalistes apprennent en effet aux femmes, dès leur enfance, que leur corps est impudique et honteux parce qu’il éveille chez l’homme des désirs coupables. Un tel enseignement constitue une discrimination indéniable et grave à leur égard parce qu’on leur instille l’idée qu’elles sont des êtres impurs, car facilement instrumentalisés par Satan pour détourner les hommes du chemin de la piété (note 2).

3. Le CSR soutient que « La personne qui couvre son corps par conviction religieuse veut exprimer sa profonde révérence envers la sainteté du divin et son indignité face à lui et aux êtres humains ». Bien que cette interprétation paraisse louable, l’enseignement traditionnel de l’islam donne un autre sens du voile. En effet, la femme musulmane ne se voile pas par révérence envers la sainteté du divin, mais en raison de sa crainte d’être tenue pour responsable de la chute morale des hommes. Le voile (plus ou moins intégral) n’est donc pas « un symbole extérieur de dévotion à Dieu » (une justification souvent utilisée dans le dialogue interreligieux), mais une pratique qui mène à la mise à l’écart des femmes et, sous la pression des musulmans radicaux, de filles de plus en plus jeunes.

4. Contrairement à ce que soutient le CSR, une telle pratique n’échappe pas au jugement extérieur. Il nous paraît, en effet, indéfendable d’invoquer la liberté de religion – un droit fondamental – pour placer au-dessus de toute critique une pratique discriminatoire qui porte atteinte à un autre droit fondamental de la femme, celui du respect de sa dignité. À la différence du CSR, nous tenons à soutenir les très nombreuses musulmanes, en Suisse et dans le monde, qui luttent pour leur dignité et leur liberté.

5. La paix religieuse que le CSR appelle de ses vœux est une composante essentielle de notre société. Nous soutenons néanmoins qu’elle comporte une exigence de vérité, car il n’y a pas de paix sociale sans vérité. Or, la vérité, c’est que demander à la femme de se voiler – quel que soit le type de voile utilisé – c’est soutenir l’idée qu’elle est une occasion de chutes et un instrument diabolique pour détourner les hommes du chemin de la piété. C’est, du même coup, accréditer la tendance à « diaboliser » la sexualité au lieu d’y voir la possibilité pour l’homme et la femme d’y faire l’apprentissage de l’amour en reconnaissant, dans le respect mutuel, leurs différences et leur égale dignité humaine.

6. Cette paix religieuse requiert aussi de respecter les lois et les coutumes du pays d’accueil. La Suisse est un pays démocratique, riche d’un long héritage chrétien et humaniste. Dans ce pays, femmes et hommes interagissent à visage découvert. Il est du devoir de tous, quelles que soient les convictions religieuses, de respecter cette pratique.

Pour ces quelques raisons et en dépit des faiblesses de cette initiative populaire, nous, signataires de ce communiqué, nous prononçons en sa faveur.

Fabienne Alfandari (juive) ; Saïda Keller-Messahli (musulmane) ; Alain René Arbez (prêtre catholique) ; Shafique Keshavjee (pasteur réformé) ; Christian Bibollet (évangélique).

 

[1] https://www.ratderreligionen.ch/le-conseil-suisse-des-religions-dit-non-a-linterdiction-de-se-dissimuler-le-visage/?lang=fr

[2] Un hadîth de Mahomet (dans L’Authentique de Muslim, Livre du mariage, hadîth 2) précise que « La femme apparaît et se retire sous la forme de Satan ». Afin que Satan ne puisse pas utiliser la femme pour semer la tentation et la dissension parmi les hommes, elle doit donc rester dans l’endroit le plus reculé de sa maison, et lorsqu’elle sort, elle doit se voiler entièrement. Comme le confirme un commentateur classique (Al-Tirmidhi): « La femme qui ne se voile pas et exhibe ses charmes devient la complice de Satan, pour semer le mal et la tentation dans le cœur des hommes ».