Dieu est-il masculin ou féminin ?

Le signe de l'infini, mêlé aux symboles du masculin et du féminin
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Le signe de l'infini, mêlé aux symboles du masculin et du féminin

Dieu est-il masculin ou féminin ?

Par Sandrine Landeau
19 avril 2021

A une question aussi frontale, j’ose espérer que la plupart des gens répondraient « ni l’un ni l’autre » ou « l’un et l’autre », ou même « franchement, je m’en fiche ». Et pourtant… pourtant nos langages liturgiques pour parler de Dieu sont incontestablement masculins, et si un.e liturge s’aventure à parler de Dieu avec des images féminines, il ou elle aura des remarques négatives c’est certain (je ne suis pas la seule à en avoir fait l’expérience).

 

Dieu est un homme blanc d’un âge respectable...

Pour parler de Dieu, nous n’avons que nos mots humains, que notre représentation du monde. Les anthropomorphismes sont donc inévitables et sains tant qu’ils sont suffisamment variés pour ne pas enfermer Dieu dans une image unique – au hasard celle du Dieu mâle, blanc, à la barbe grisonnante de la chapelle Sixtine. Le problème n’est pas que cette image existe, elle est légitime. Le problème est qu’elle soit la seule, et que toute autre proposition au mieux nous déçoit en bien, au pire nous dérange au point que nous fermions cœur et oreilles parce que nous la jugeons illégitime. C’est ce que souligne le slogan provocateur « I met God. She’s black », brandi entre autre lors de la grève des femmes de 2020 à Genève.

Lorsque Michel-Ange peint au plafond de la chapelle Sixtine, il lui donne un certain nombre d’attributs qui disent quelque chose de qui est Dieu pour lui. Sa peau est blanche, comme celle des habitants d’Italie à l’époque, ce qui dit un Dieu qui nous ressemble, qui se fait proche. Un Dieu mâle disait aussi cette ressemblance et cette proximité (ce sont des hommes qui ont commandé, imaginé et peint cette image), en même temps qu’une notion de puissance puisque les hommes étaient, plus encore qu’aujourd’hui, les détenteurs du pouvoir et de la puissance. La barbe blanche souligne, par la référence à un âge avancé, la sagesse de Dieu qui dépasse la nôtre. En même temps le reste de son corps semble plutôt jeune, soulignant sa capacité d’action. Ces attributs et ce qu’ils symbolisent sont légitimes. Mais ils ne disent pas tout de Dieu ! Ce qui est problématique, c’est qu’il n’y ait pas, à la même époque (ou si peu que nous ne les connaissons pas), des représentations de Dieu sous la forme, par exemple, d’une enfant noire, disant l’étrangeté (pour un homme blanc de l'époque), la nouveauté, la puissance de vie prête à éclore (voir le travail de l’artiste Harmonia Rosales qui réinterprète la fresque de Michel Ange). De l’absence d’autres représentations naît un « effet retour » : si Dieu est représenté par un homme blanc âgé, et seulement par lui, alors l’homme blanc âgé est le seul être à l’image de Dieu…

 

ou alors il est une poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes

La Bible regorge d’images de Dieu, et la majorité sont des images masculines, pour les mêmes raisons qui font que Michel-Ange a peint un Dieu mâle : pour autant que les historien.nes puissent le reconstituer, la Bible a été écrite par des hommes, dans un monde où les hommes dominaient largement sur les femmes Mais les théologiens qui ont écrit les textes bibliques ont pourtant aussi utilisé d’autres images, notamment féminines, parce qu’ils n’arrivaient pas à tout exprimer avec des images masculines. Ils utilisent notamment l’image de la maternité de Dieu pour dire que Dieu nous accueille, nous donne la vie, nous nourrit, alors même que nous sommes autres et que nous blessons, faisons mal, profitons, comme une mère porte son enfant et le nourrit alors même qu’il est un corps étranger au sien, nécessitant un abaissement des défenses immunitaires, une réallocation des ressources, les risques et les douleurs de l’accouchement, etc.

D’autres images féminines sont utilisées pour parler de Dieu et soulignent la capacité de mettre au monde, de nourrir, de pourvoir aux besoins quotidiens, de protéger, d’accompagner la croissance : la sage-femme, la nourricière, la confectionneuse de vêtements (Gn 3,21), la consolatrice, la ménagère, la protectrice. C’est dans cette dernière catégorie que je range cette image amusante de la poule : qu’on trouve dans la lamentation de Jésus sur Jérusalem (« Jérusalem, Jérusalem qui tue les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu. » Mt 23,37)

 

 

Et si Dieu était non-binaire ?

Vous aurez peut-être remarqué que, à part les images qui parlent de la grossesse et de l’accouchement et de l’allaitement, toutes les autres sont des images qui ne sont féminines que culturellement : c’est la culture dans laquelle vivaient les auteurs bibliques qui faisait que le fait de tenir une maison propre et de faire la cuisine soit une tâche féminine (et c’est toujours la culture qui fait que c’est encore le cas aujourd’hui assez largement).

Il ne s’agit donc pas de dire que Dieu a une dimension féminine parce qu’iel assume ce genre de tâches, mais de souligner que les auteurs bibliques, qui vivent dans une société plus patriarcale et violente que la nôtre, n’ont pas hésité pourtant à varier les images pour dire des dimensions de Dieu qu’ils n’arrivaient pas à dire avec leur image de prédilection, celle de Dieu masculin. Nous avons à retrouver ce geste inaugural pour dire nous aussi Dieu, à ne pas hésiter à utiliser des images inhabituelles, déconcertantes, masculines et féminines, pour dire ce Dieu Tout-Autre qui se fait Tout-Proche de nous.

Ne limitons pas nos images de Dieu, nos façons d’en parler, à un seul genre, à un seul type, mais varions, parce que Dieu dépasse toutes nos représentations, iel les excède ! Peut-être connaissez-vous ce passage fameux de la Genèse : « Dieue créa l’humain à son image ; à l’image de Dieue iel les créa. Mâle et femelle iel les créa. » (Gn 1,27) ? On l’utilise souvent pour souligner l’égale dignité de l’homme et de la femme (après des siècles de discours mettant l’homme au-dessus de la femme, c’est bien nécessaire!). Mais on peut aussi en tirer la conclusion que Dieu a en ellui de l’homme et de la femme, du masculin et du féminin, et qu’iel est non pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre, ou pour mieux dire : au-delà de l’un et l’autre, les englobant tous deux. On pourrait cocher pour ellui la case « non-binaire » et utiliser – comme je l’ai fait ici – les pronoms non genrés. S’il ne devait y avoir qu’un seul cas où les utiliser – ce n’est bien sûr pas le cas –, c’est bien pour parler de Dieu.e !