« Le salut par la foi, moi, je ne peux pas, même si je suis réformée jusqu’au bout des ongles »
Le problème...
C’est en substance ce que me disait une amie il y a peu. Au moment où elle me le disait, deux voix se sont élevés à l’intérieur de moi. La première s’indignait : « quand même, le sola fide, c’est l’un des piliers de la Réforme, c’est fondamental! ». La seconde s’étonnait : « qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? »
Heureusement pour moi, pour elle et pour notre relation, c’est la seconde voix qui a emporté mon vote intérieur et j’ai laissé cette amie parler et m’expliquer quel était son problème avec le salut par la foi. Si la première voix l’avait emporté je lui aurais déballé ma science et nous en serions restée là…
Quel était son problème ? Et bien quand on dit que seule la foi sauve, on sous-entend que tous les autres – toutes celles et ceux qui sont athées, toutes celles et ceux qui ont une « mauvaise foi » (le critère pour cela étant en général très simple : ils ne croient pas comme moi soit qu’ils appartiennent à un autre courant du christianisme, soit à une autre religion, soit qu’ils aient une spiritualité « hors les murs » institutionnels) – ne sont pas sauvé.e.s, ne sont pas aimé.e.s de Dieu… Et ça voyez-vous, pour sa foi à elle, qui croit en un Dieu qui aime chaque être humain, ce n’est pas possible.
Pour moi non plus pour tout vous dire… Je ne crois pas en un Dieu qui enverrait tous ceux et toutes celles qui n’ont pas une foi juste rôtir en enfer pour l’éternité. Ou alors il faut dire immédiatement, et c’est un autre pilier de la Réforme, que personne n’a une foi juste.
La foi n’est pas une liste de contenus à cocher
Qu’est-ce que la foi ? Ce n’est pas une liste de doctrines à cocher les unes après les autres, c’est d’abord – et c’est le même mot en grec comme en hébreu – la confiance, et donc une relation avec Dieu. Quand vous faites confiance, vous apprenez à connaître, vous pouvez expérimenter quelque chose de l’être de l’autre, vous pouvez même en dire quelque chose, en témoigner. Mais ça ne se joue pas en termes de cases à cocher sur une liste.
Alors chacun sa foi et chacun chez soi ? La Réforme a aussi eu pour conséquence de renvoyer chacun à ses propres responsabilités, à son propre chemin. C’est entre moi et Dieu que les choses se jouent, et personne ne peut faire confiance à ma place… Pas plus une quelconque institution que le ou la pasteur.e, mon conjoint ou ma voisine de banc au temple. Mais et si je me trompe ? Si je prends pour Dieu une voix intérieure qui n’a rien à voir avec lui ? Si ma relation avec Dieu est bancale ? Si je n’arrive pas à lui faire confiance ?
Et la grâce ?
Avec cette responsabilité vertigineuse d’une relation personnelle avec Dieu est venu l’accent sur le salut par la grâce seule, le sola gratia. Et c’est à mon avis cette notion qui nous sauve de la terreur de nous tromper dans notre quête de Dieu. Le salut par la grâce seule nous dit que Dieu nous aime toujours le premier, et toujours gratuitement, avant que nous ayons fait ou dit quoi que ce soit, avant que nous lui ayons fait confiance. Son amour est toujours déjà là. Nos errances, notre foi ou notre absence de foi, notre certitude de sa présence ou notre certitude plus grande encore de son absence n’y changent rien : rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Christ disait déjà Paul il y a plus de 2000 ans (Ro 8, 38-39). Ce que tout cela change par contre, c’est notre capacité à vivre de cet amour, notre capacité à nous en nourrir.
Il pourrait y avoir là une nouvelle sorte de fatalité : tant pis pour celles et ceux qui, quelle qu’en soit la raison, ne font pas confiance à Dieu, ils ne profiteront pas de ses largesses. Mais ce n’est pas encore tout à fait cela je crois. Dieu ne cesse de nous aimer, et cet amour est actif, car en Dieu dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Il ne cesse de chercher les chemins pour que cet amour nous atteigne et fasse grandir en nous ce qu’il y a de beau et de bon. Aussi longtemps que nécessaire autant de fois que nécessaire il nous appelle, il nous tend la main pour qu’une rencontre ait lieu, qu’une véritable relation naisse. « Samuel, Samuel », « Marthe, Marthe », tant d’appels nous sont contés dans la Bible. La singularité de ces récits nous parle de la singularité de notre appel.
La foi et les oeuvres
Et le salut par la foi alors me direz-vous ? Quel est son sens ? N’est-il bon qu’à jeter aux orties ? Je ne crois pas, même si j’accorde largement la primauté au salut par la grâce. La notion de salut par la foi vient mettre bas ce qu’on appelle le salut par les œuvres, c’est-à-dire le fait de croire que ce sont nos œuvres – nos pensées, nos prières, nos actions – qui nous sauvent, qui nous rendent aimables aux yeux de Dieu, ce qui revient d’une certaine façon à dire que l’amour de Dieu s’achète et se négocie. La notion de salut par la foi vient dire au contraire que les œuvres ne sont pas une condition de l’amour de Dieu, mais le résultat de cet amour : c’est parce que nous sommes aimés, parce que nous vivons de cet amour, que nous le rayonnons autour de nous par nos manières d’être et de vivre. Et la foi est ce qui nous permet de vivre de cet amour : la relation de confiance qui s’établit avec Dieu vient nourrir l’amour à la racine avec nous.
Il y a donc dans la notion de salut par la foi finalement la même intuition, exprimée autrement, que dans celle de salut par la grâce. Mais le risque pointé par mon amie est bien réel : en mettant l’accent sur le salut par la foi, sans rappeler qu’il n’est qu’une autre expression du salut par la grâce, on risque de faire de la foi un moyen d’acheter l’amour de Dieu, une condition de son amour… et donc de retomber dans la logique donnant-donnant qui est celle du salut par les œuvres… que voulait précisément la notion de salut par la foi !
Et au fait, on est sauvé.e.s de quoi ?
Dernière chose : je ne cesse depuis le début de cet article de parler de salut et des différentes manières de comprendre la façon dont il nous parvient, mais je n’ai pas défini ce qu’il est ! Il est plus que temps d’expliciter un peu cela, même si cela mériterait bien au moins un article entier ! Le salut, on pourrait aussi traduire « la guérison », ou « la santé », c’est un état qui n’est pas un état stationnaire mais un état dynamique, dans lequel la vie et l’amour circulent, une marche dans la vie. C’est cet état déplié dans lequel l’être humain peut entrer en relation avec d’autres, quels que soient ces autres, sans les considérer uniquement comme des objets se rapportant à lui, comme des extensions de lui-même. Kant formulait cela avec son impératif catégorique « Agis de telle façon que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen. ». Jésus le disait autrement, à la fois promesse et commandement : « Voici le plus grand commandement : tu aimeras l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute âme et de toute ta pensée. Et voici le second qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 37-39).