Rencontrer le pape et se laisser surprendre
Le pape François met à l’honneur la jeunesse, l’œcuménisme et l’inclusivité. Le 7 octobre 2022, il s’entretient près d’une heure avec une délégation d’aumôniers catholiques et protestants vaudois. Échange chaleureux, surprenant, ouvert et franc. Écho d’une rencontre marquante et hors du commun.
Ce n’est pas tous les jours que l’on a rendez-vous avec le pape François, encore moins lorsqu’on est pasteure réformée. Demandez et vous recevrez ! C’est ce qu’ont fait les aumôniers œcuméniques des gymnases et hautes écoles professionnelles du canton de Vaud. Encore relativement incrédule, notre petit groupe volubile et expansif a fait sensation auprès des voyageurs du train en direction de Rome. C’était pourtant bien vrai, nous étions attendus en audience privée au Palais apostolique du Vatican, ce vendredi 7 octobre au matin.
Les attentes des un-e-s et des autres étaient très diverses : de la quasi-consécration d’une vie de croyant-e à la simple curiosité intellectuelle, en passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel des convictions. Pour la réformée que je suis, la personnalité de ce pape argentin, marqué par la théologie de la libération, attisait mon envie de le rencontrer, malgré certaines réserves provoquées notamment par le recul de l’œcuménisme des dernières décennies. J’ai gardé par exemple en mémoire, l’onde de choc provoquée dans le monde protestant par la déclaration Dominus Iesus, signée par le futur Benoit XVI, à l’aube de ce millénaire. Une déclaration qui remettait en cause l’appartenance des protestants à l’Église universelle du Christ.
Réaliste, je ne m’attendais qu’à une courte rencontre superficielle, formelle et symbolique avec le chef d’État, aussi sollicité par les affaires du monde que par les rouages de l’institution ecclésiale. Sa santé fragile ou un impondérable ne nous mettait pas à l’abri d’un changement de programme. J’attendais de voir pour croire ! À tout le moins, ce voyage était-il l’occasion de renforcer des liens d’équipe tissés par un travail œcuménique de terrain.
De faste et d’apparat
Sous l’escorte de Gaétan Rolle, garde suisse pontifical, nous avons quitté, par la droite, la place Saint-Pierre et ses visiteurs, pour passer la porte de bronze, qui n’est franchie que par les happy few, et rejoindre la résidence pontificale. Monter en silence l’immense escalier Pie IX et ses deux étages, pour rejoindre la cour d’honneur St-Damase où sont accueillis chefs d’État, hôtes de marque et plus généralement, toutes les personnes reçues en audience privée par le pape. Entrer dans l’appartement des audiences du pape et, à partir de la loge, en suivant un officier de la garde pontificale, effectuer avec révérence et émerveillement un parcours en fer à cheval à travers une succession de couloirs et de salles d’apparat en enfilade, toutes plus belles les unes que les autres. Des espaces immenses, de hauts plafonds et des murs tous richement décorés de fresques. Plateaux de marbre savamment marquetés de toute part, trônes, immenses et somptueux tapis colorés. Nous avons attendu un instant dans une pièce d’angle qui donnait sur la cour Saint-Pierre, à proximité de la dernière pièce ; la bibliothèque privée du pape où nous attendait le souverain, là même où il reçut Emmanuel Macron trois semaines plus tard. Mais ne nous emballons pas ! Nous ne sommes qu’une poignée de modestes aumôniers et aujourd’hui encore, je me demande pour quelle raison le pontife a consacré un temps précieux à cette rencontre.
Avec un regard qui regarde vraiment
Rencontrer la pape François contraste avec le faste du décor, tant on le sent éloigné du protocole. Malgré une marche difficile, vraisemblablement douloureuse, et un visage fatigué, il tient à accueillir chaque visiteur à la porte par une poignée de main chaleureuse et un regard habité. Traverser sous les feux des médias du Vatican l’immense salle pour rejoindre nos fauteuils et attendre que le pape nous rejoigne. On se pince un peu, c’est devenu très concret. Ma vie de journaliste m’a appris que rencontrer de grandes figures de ce monde s’accompagne souvent d’artifice de discours creux et convenus. L’effort pour obtenir un entretien peut être inversement proportionnel à la déception sur son contenu. François surprend par son accessibilité, par la qualité de sa présence, par son ouverture et par la pertinence de ses propos.
L’œcuménisme valorisé
Le pontife souligne, avec une pointe d’humour, la nécessité de poursuivre l’engagement œcuménique de terrain pour permettre à l’Église universelle de donner un témoignage d’unité, conforme à l’enseignement du Christ. « Nous avions l’habitude de nous brûler ! Maintenant, c’est agréable de travailler ensemble et c’est bon ! » Après Dominus Iesus et le retour d’une certaine crispation, il est bon d’imaginer que l’actuel chef de l’Église catholique puisse considérer que les protestants font pleinement partie de l’Église universelle. Durant l’audience, François a eu la délicatesse de veiller à ce que chacun-e se sente à l’aise et partie prenante : pas de signe de croix ou tout autre geste de révérence au souverain, pourtant attendu dans ce lieu, qui puisse exclure un protestant. Après la partie protocolaire, il a demandé aux médias de se retirer et l’échange s’est poursuivi spontanément. Le pape a changé de ton et de registre pour revenir sur nos questions. Par ses réponses franches et sans détours, il insiste sur quelques points.
Écouter la voix prophétique des jeunes.
Comment accompagner une jeunesse en perte d’espérance dans une société prétendument prospère ? La prospérité n’est pas une fin en soi et les jeunes veulent aller de l’avant. Ils ne sont pas faits pour rester figés dans le présent, remarque François. Bien sûr, l’économie doit pouvoir progresser, mais elle ne peut être la valeur principale. Les jeunes ont besoin d’autre chose pour se tourner vers l’avenir.
Il évoque le livre de Joël qui parle des jeunes qui prophétisent et des anciens qui rêvent (Joël 3,1). Pour lui, les relations intergénérationnelles sont déterminantes. Les anciens, par leurs regards et leurs rêves, considèrent leurs enfants comme leur futur. Ils rêvent d’un avenir ouvert pour eux et donnent des racines qui permettent aux jeunes d’aller de l’avant, afin de se sentir concernés par la vie et ne pas rester muets. Les jeunes sont également très sensibles à la rigidité personnelle, familiale, sociale et ecclésiale et en cela, ils ont une voix prophétique qu’il s’agit d’écouter. Pour parfaire leurs apprentissages, ils ont aussi droit à l’erreur.
Ne pas confondre les structures et l’Église universelle
Que dire aux jeunes qui ne se reconnaissent pas dans l’Église ? Le jeune perçoit avec acuité la rigidité et la refuse, poursuit le pape. Or « la rigidité est un poison, une perversion, et croyez-moi, j’en sais quelque chose ! » La rigidité cache toujours quelque chose de suspect, dit-il, elle est à proscrire. Nous devons sans crainte rester ouverts, avec l’Évangile dans la main comme porte de liberté. Et il s’agit de ne pas confondre les structures avec l’Église universelle, poursuit François avec son franc parlé. « Les structures sont les structures. Elles ne sont pas l’Église ». L’Église doit être ouverte à tous affirme François, « quel que soit le vécu, les convictions, la condition sociale, la culture ou l’orientation sexuelle ». Dans la parabole évangélique, rappelle-t-il, sur les chemins et les places, tous sont invités au repas par le maître. « La maison de Dieu est la maison de tous. Je répète, de tous, tous ! », insiste le pontife.
Ce temps fort et profond s’est conclu par la prière commune du « Notre Père ». Le pape a prononcé une parole de bénédiction pour chacune-e de nous et pour sa famille, tout en invitant à prier pour lui. Après une dernière poignée de main cordiale, je veux espérer que le pontificat de François s’ouvre sur des évolutions significatives pour l’Église, afin de ne pas rester une simple parenthèse. Si toute structure qui se respecte est nécessaire, elle court toujours le risque de se gripper par une rigidité, un repli identitaire et une fermeture. Les Églises protestantes ne sont pas au-dessus de la mêlée. L’Esprit saint a donc bien du pain sur la planche ! Quoi qu’il en soit, en présence de François et de mes collègues, je me suis sentie véritablement en communion œcuménique. Certaines paroles prononcées me nourrissent encore. Je n’attendais rien et je me suis laissé surprendre. L’instant est saisi et c’est un cadeau bienvenu.
En savoir plus:
Le pape François a rencontré les aumôniers d’écoles du canton de Vaud, cath.ch, octobre 2022