L'Autre, cette menace
Joe Biden a averti du risque d’une apocalypse nucléaire répondant au déclarations insensées du président russe devenu fou. L’Union européenne quant à elle va envoyer une "mission civile" en Arménie, le long de l'Azerbaïdjan, pour aider à la délimitation des frontières et relancer le processus de normalisation. Deux exemples actuels qui disent bien le danger que constituent les zones frontières.
L’Évangile de ce jour nous emporte vers une de ces zones, moins médiatisée que celles qui font l’actualité : la frontière entre la Samarie et la Galilée. C’est là que se situe l’épisode de la guérison des dix lépreux.
« Comme il (Jésus) entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » A cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés. L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. » Luc 17 : 11-19
Ces lépreux sont les exclus de la société de l’époque, chassés de leur lieu de vie ils se sont installé à la frontière entre la Galilée et la Samarie. Comme tous les parias ils s’installent dans les zones grises. Grises comme leur peau atteinte par la maladie et grise comme leur statut, ni juifs, ni samaritains mais rassemblés en une communauté du survivre.
Voyant Jésus ils l’interpellent et ce dernier déclenche en eux un processus de guérison. « Allez vous montrer au prêtre pour qu’il atteste de votre guérison » leur dit-il. Alors qu’ils montent à Jérusalem où Jésus les a envoyés, le processus de guérison s’enclenche.
Première remarque : Pour être guéris ils doivent revenir affronter cette société qui les avait exclus. Sans le Christ ils seraient restés dans cette zone grise du non droit et du non-être. L’exclusion ça se combat, elle est la pente naturelle vers laquelle nous glissons imperceptiblement. Ces lépreux trouveront dans l’ordre du nazaréen la force et le courage de revendiquer leur droit à l’existence. C’est aux exclus de se battre pour que leur qualité de fille et fils de Dieu soit reconnue.
La tension dramatique du récit monte d’un cran lorsque les dix lépreux constatent qu’en chemin ils ont été guéris, mais qu’un seul -- l’étranger de service, le samaritain -- revient se jeter aux pieds de Jésus. Le seul étranger du groupe comprend que la parole vivante qu'il a rencontrée est bien plus déterminante que la barrière entre malades et bien portants, bien plus déterminante que ce mépris mutuel entre Juifs et Samaritains.
Ce Samaritain revient vers Jésus et cet élan de reconnaissance parachève sa guérison. Il est à présent libre de la maladie, mais surtout libre de la tyrannie des divisions et des préjugés.
Si l’histoire s’arrêtait là nous pourrions nous contenter d’une morale bien gentillette et inoffensive sur la reconnaissance mais voilà : « Et les neuf autres où sont-ils » demande Jésus. ?
On comprend que les neufs autres étaient des juifs bien intégrés avant leur maladie. Où sont-ils ? C’est simple : ils ont retrouvé leur milieu social et leur vie d’avant aussi vite que possible. Ils veulent oublier ce chapitre douloureux de leur vie et à nouveau profiter des privilèges de leur existence sociale retrouvée.
« Seul cet étranger est revenu rendre gloire à Dieu ? » s’étonne Jésus. Ce mot d’étranger dans la bouche de Jésus est le même mot qui apparaissait sur la barrière intérieure du temple : « Interdit aux étrangers ». Se préserver de la souillure de celui et celle qui est autre, différent, suspect. Les lépreux, samaritains et non-conformes menaçaient la pureté du sol et de la race.
Nous ne sommes pas très loin de certains discours nationalistes actuels.
Deuxième remarque : Par cette question faussement innocente, Jésus indique qu’est pur celui ou celle dont la pensée a traversé le tambour de la machine à laver.
On a souvent vu dans l'histoire humaine que l’opprimé, une fois libre, rejoint les rangs des oppresseurs, c’est effectivement le cas des neufs lépreux qui ont été guéris mais dont le cœur n’a pas été changé et qui estiment que c’est un dû que d’être dans la norme et tant pis pour les autres...
Notre guérison du péché originel reste inachevée jusqu’à ce que notre perception de l’autre change. Notre guérison demeure inachevée jusqu’à ce que nous revenions vers le Christ conscients d’être un privilégié qui peut se mettre au service de la cause des lépreux modernes que sont les exclus d’aujourd’hui.
Richard Falo